Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport. Rédacteur en chef de www.docdusport.com
Avec l’avènement de l’ultra-trail, de l’Ironman et plus récemment de l’ultra-cyclisme, l’idée de « tolérance à la souffrance » s’impose comme un critère de performance ! Votre médecin du sport se devait d’analyser ce concept à travers le prisme de la santé … afin de vous aider à placer le curseur !
Dans son ouvrage « SANS LIMITE », Chloé Lanthier ouvre la boîte de Pandore. Pour elle, repousser le seuil de la douleur constitue une stratégie incontournable pour progresser sur longue distance. Elle revendique deux expériences personnelles fondatrices. Les deux se déroulent au cours du Marathon des Sables. La première année, son tube digestif lui impose le martyr du début à la fin du périple. La seconde, c’est un panaris à l’orteil qui lui fait vivre un supplice de jour comme du nuit ! Dans les deux cas, elle termine l’épreuve fière de ne pas avoir écouté les messages de son corps ! Ces deux exemples ont fait frémir d’effroi votre médecin du sport ! En effet, au cours d’efforts de très longue durée, on relate plusieurs cas de nécrose du colon engageant le pronostic vital et imposant une ablation chirurgicale en urgence. Facile au milieu du désert ! Sympa la « poche à caca » provisoire ou définitive ! De la même manière, chez les sportifs, les infections profondes du derme peuvent être à l’origine de septicémies gravissimes et d’envahissements microbiens dans les os, particulièrement des ostéites du pubis. Bienvenue en réanimation ! Au bon plaisir des séquelles articulaires vous assurant de repousser encore les douleurs à la moindre activité physique !
« Quand on veut, on peut ? »
Le seuil douloureux est à forte composante génétique. Bien-sûr, l’éducation, l’entraînement peuvent moduler l’expression de notre ADN, on parle d’épigénétique. Cependant, votre marge de manœuvre est limitée … un peu comme pour votre VMA. De fait, terminer un ultra dans la douleur quand on n’a pas le mental revient à demander à Philippe dont la VMA est de 14 km/h de fractionner sur la piste en terre d’Iten à 25 km/h avec les Kenyans ! C’est inaccessible quelle que soit la préparation ! La volonté, la persévérance, l’envie de bouger sont également en grande partie léguées par vos parents. Une expérience menée sur les rats se montre tout à fait révélatrice. Ce petit rongeur court en moyenne 4 kilomètres par nuit dans sa roue. Les chercheurs ont multiplié entre eux les individus qui parcouraient moins ou plus que la moyenne. Au bout de 10 générations, les plus calmes faisaient 3 tours et allaient manger du fromage. Les plus agités galopaient 11 kilomètres. Ces derniers revenaient à des distances habituelles si on leur administrait de la Ritaline, le traitement de l’hyperactivité. Bref, il existe une continuité biologique entre l’énergie au quotidien et la pathologie ! Et les addictologues aiment à dire qu’on franchit le seuil de la maladie lorsque survient la souffrance sociale, familiale, professionnelle … ou biologique en cas de manque. Les médecins du sport pourraient compléter en citant l’effet apaisant de la douleur sur le terrain…
LE PERCEPTION DE LA DOULEUR, LA VOLONTÉ SONT DÉTERMINÉES GÉNÉTIQUEMENT
Même le talent aérobie influe sur le courage apparent ! Vous imaginez bien que Thierry qui termine l’UTMB en 46 heures ne fait pas la même course que François d’Haene qui clôt l’épreuve en 19 heures ! François a pris sa douche, savouré un bon repas équilibré, dormi à l’hôtel et quitté Chamonix quand Thierry franchit la ligne d’arrivée. C’est à se demander lequel des deux a le plus de courage … La belle biographie du champion intitulée « La vie courante » nous apporte peut-être la réponse.
« C’EST QUAND ON PEUT QU’ON EN VIENT À VOULOIR »
L’auteur nous apprend qu’il gagne avec aisance son premier trail de 70 kms à 20 ans, sans préparation spécifique… Visiblement François n’a pas eu besoin de se dépasser ! L’invective « Quand on veut, on peut ! » est intelligemment corrigée parle neuropsychiatre Christophe André, qui transforme l’injonction culpabilisatrice en précepte apaisant : « C’est quand on peut qu’on en vient à vouloir » ! Alors, rassurez-vous ! Si ce n’est pas votre nature, vous n’êtes pas obligé d’adhérer à la surenchère des Ultras ! Vous progresserez trop peu dans votre tolérance à la souffrance pour réussir !
La douleur source d’addiction !
Comme leur nom l’indique, les endorphines sont des morphines endogènes. Ces molécules proches de l’héroïne sont sécrétées par notre organisme en réponse à une douleur. Elles sont puissamment antalgiques, euphorisantes et … addictives ! Ce mécanisme neurobiologique a été sélectionné par l’évolution. Tous ceux dont la souffrance était atténuée pouvaient poursuivre la fuite ou le combat … et survire ! Ceux qui renonçaient ont été dévorés par les ours !
LES ENDORPHINES EUPHORISANTES SONT PRODUITES EN CAS DE DOULEUR ET MÈNENT À L’ADDICTION
Au Paléolithique, ces processus de stress intense n’étaient pas quotidiens et ne provoquaient pas de dépendance. Les hommes préhistoriques ne souhaitaient pas se battre avec des fauves tous les jours ! Voilà qui diffère d’un entraînement assidu toujours plus intensif, toujours plus dur ! Voilà qui vous explique que rechercher la douleur pour apprendre à la tolérer voire à la savourer est, en tant que tel, addictogène. Ce processus peut mener à la dépendance provoquant une vraie souffrance sociale, familiale ou professionnelle … Les médecins de la vallée de Chamonix nous apprennent que désormais bon nombre d’entreprises de la région rechignent à engager des ultra-traileurs : trop d’arrêt de travail, trop de fatigue, pas assez de disponibilité ! Cette addiction mène aussi à la blessure, sans parler du surentraînement ressemblant étrangement à la dépression !
Faut-il obéir au gouverneur central ?
Tim Noakes est un célèbre physiologiste sud-africain. Il a émis l’hypothèse qu’un réseau de neurones faisait la synthèse de toutes les sensations relatives à l’effort : musculaires, articulaires, respiratoires mais aussi les renseignements plus subtils autour de la température corporelle, de l’hydratation, de l’équilibre minéral, des réserves d’énergie encore disponibles... Il pense que cette structure guide notre comportement en nous proposant de continuer au même rythme, d’accélérer ou de ralentir … à moins qu’elle ne nous implore d’arrêter ! Selon Tim Noakes, notre gouverneur s’octroie une marge de sécurité ! Il illustre cette notion en indiquant notamment que nous pouvons dépasser largement notre fréquence cardiaque maximum à l’occasion de tachycardies retrouvées dans les palpitations … oui, le cœur tient le coup quelques temps mais le patient finit parfois en soins intensifs !
LE GOUVERNEUR CENTRAL ET SA MARGE DE SÉCURITE : UN CONCEPT PLUS QU’UNE RÉALITÉ NEUROANATOMIQUE
Chloé Lanthier rebondit sur cette information et nous invite à repousser le seuil de notre gouverneur central… Là encore le choix est osé ! Le curseur doit être déplacé avec mesure ! Acquérir le goût de l’effort ne veut pas dire apprendre à savourer son autodestruction ! D’autant que le gouverneur central n’est pas une réalité neuroanatomique mais un simple concept physiologique à manipuler avec discernement. Dans l’ensemble la souffrance reste bonne conseillère : une douleur thoracique associée à une sensation de malaise à l’effort n’est pas qu’une simple information neurologique donnée à un ultra-traileur qui manque de courage et cherche une bonne raison pour abandonner ! Jusqu’à preuve du contraire, ces symptômes caractérisent une crise cardiaque qui tourne au trouble du rythme fatal. Pour mémoire, chaque année en France, il se produit 1500 morts subites de sportifs qui se croyaient en pleine forme ! Il faut bien les trouver quelque part … en particulier sur les routes et chemins des ultra-distances ! Les prises de sang à l’arrivée des grands raids laissent pensifs ! On y détecte des enzymes cardiaques libérées par la souffrance du cœur, comme après un infarctus !
MÉPRISER SA DOULEUR : DANGERS MORTELS EN EMBUSCADES.
CRISE CARDIAQUE, RHABDOMYOLYSE, COUP DE CHALEUR
Quand vous ressentez des muscles effroyablement douloureux, faibles et gonflés, quand vous urinez sombre… vous n’avez pas besoin d’un peu de repos et d’un bon gobelet d’eau : vous faites sûrement une rhabdomyolyse … une destruction musculaire massive dont les déchets viennent boucher les reins et les détruire définitivement … tout en engageant le pronostic vital ! Alors que votre corps devient brûlant puis frissonnant, quand vous arrêtez de transpirer malgré le cagnard, vous n’êtes pas victime d’une insolation mais d’un coup de chaleur qui tue 60% des victimes ! Encouragez le dépassement de soi, le mépris de la souffrance du corps n’est pas raisonnable ! Ce sont les connaissances médicales qui permettent de lister les dangers ! Nous ne sommes plus dans le domaine de la physiologie du sport mais de la pathologie de l’effort ! Il ne s’agit pas d’entraînement mais de médecine et de santé ! A l’occasion de votre préparation, faites-vous accompagner par un médecin du sport. Il saura vous aider à trouver la juste mesure.
La fatigue centrale existe !
Quand votre cerveau vous demande d’arrêter, lorsque votre volonté s’effondre, on peut évoquer la fatigue centrale. En effet, la construction mentale visant à la réalisation de votre objectif, la programmation des mouvements complexes, les ordres donnés à chaque muscle, tous ces processus consomment des neuromédiateurs que vos neurones doivent synthétiser et recycler ! De fait, au fil des kilomètres, le stock de ces messagers s’épuise ! Ce phénomène est d’autant plus impactant pour tout un chacun que le système énergétique des cellules nerveuses dispose des mêmes aptitudes que le reste du corps ! Nous avons les mêmes mitochondries dans nos muscles et notre cerveau ! C’est alors que le talent aérobie s’exprime naturellement, génétiquement dans la production de neuromédiateurs … à savoir dans la volonté ! « C’est quand on peut, qu’on en vient vouloir ». La formule bienveillante du neuropsychiatre Christophe André résonne à nouveau ! C’est aussi pour cette raison que les petites VO2max basculent plus rapidement dans le surentraînement physique et émotionnel … jusqu’à glisser dans la dépression d’épuisement !
Entre accomplissement et rédemption !
Votre motivation profonde pour ce type d’épreuve est souvent intimiste et quelquefois douloureuse ! Il s’agit d’un chemin d’accomplissement ; parfois un calvaire de rédemption. Lorsque mes patients sportifs s’engagent dans de tels projets, bien au-delà des doses d’activité physique bénéfiques à la santé, je ne peux qu’accepter ! J’utilise ma formule habituelle : « Je respecte vos motivations, je vous accompagne mais je ne cautionne pas ».
JE RESPECTE VOS MOTIVATIONS, JE VOUS ACCOMPAGNE MAIS JE NE CAUTIONNE PAS
Lael Wilcox est une ultra-cycliste américaine. Elle a gagné la Trans Am Bike Race devant les hommes. Lorsqu’un journaliste lui demanda pourquoi elle s’infligeait autant de souffrances, elle lui répondit qu’elle avait ses raisons… mais qu’elle ne lui donnerait pas ! Malheureusement, mon expérience de médecin du sport décèle deux écueils. Le premier est sociologique et porte les noms de banalisation et de surenchère. Il y a encore 20 ans, courir 42 kms vous plaçait dans l’élite de l’open-space ! Désormais, pour être crédible, il est nécessaire d’avoir crapahuté 180 kms dans la montagne … la route pour mener à l’accomplissement grâce au regard de l’autre est devenu beaucoup plus longue, sinueuse, pentue et dangereuse. Le deuxième obstacle sur le sentier de la rédemption, c’est le manque de talent, qu’il soit physiologique, ou psychologique ! La souffrance physique sera surdimensionnée et l’épuisement émotionnel majeur … parfois responsable d’une aggravation du mal-être !
S’APAISER SANS S’ÉPUISER : UNE ALTERNATIVE SANTÉ
Il existe d’autres chemins pour retrouver un peu de confort psychologique. Ce peut-être une épreuve sportive plus abordable, sans lien avec les idéaux sociaux, adaptée à vos aptitudes et à vos envies. Il peut s’agir d’un accomplissement différent teinté d’acceptation qu’un professionnel de santé vous aidera à trouver ! J’aime dire à mes patients fatigués, blessés ou âgés, il faut désormais « vous apaiser sans vous épuiser » !
Plus fort que les hommes préhistoriques ?
La nature n’a pas forgé l’être humain pour encaisser un entraînement assidu à l’Ultra ! Au Paléolithique, l’Homme pratiquait la chasse à l’épuisement. Riche de son intelligence et de son organisation sociale, il poursuivait le gros gibier jusqu’à ce qu’il s’effondre de fatigue. Cette séance durait environ deux heures et se reproduisait trois fois par semaine.
AU PALÉOLITHIQUE : 3 FOIS 2 HEURES DE COURSE PAR SEMAINE
Le reste du temps, il faisait la cueillette ou se reposait dans sa grotte. Étonnamment, ces données anthropologiques correspondent aux résultats de la grande étude de Framingham. Parmi tous les résultats, on retiendra que les bénéfices du sport diminuent au-delà de 7 heures de pratique hebdomadaire… une dose proche de celle des chasseurs cueilleurs ! Bref, rien à voir avec l’Ultra ! Bien sûr, l’être humain peut parcourir 180 kms dans la montagne !
UN ULTRA TRAIL : UN EQUIVALENT GRANDE MIGRATION EXCEPTIONNELLE
Ces épreuves ressemblent d’ailleurs aux grandes migrations provoquées par les famines et les catastrophes climatiques. Heureusement, ces déplacements éreintants étaient exceptionnels et toutes les générations n’y étaient pas contraintes. Comme les Ultras, ils associaient stress intense, effort physique prolongé et apport calorique insuffisant. Ce cocktail toxique provoquait … et provoque toujours … une chute de la libido et un arrêt de règles ! Il faut économiser l’organisme et ce n’est pas le moment de mener à bien une grossesse ! Rien de bon pour l’individu … Rien de bon pour l’espèce ! Alors, dès que possible, Sapiens renouait avec la quiétude de sa grotte et son activité santé !
Les chevaux sont mieux traités que les humains !
Ce sont les compétitions d’endurance équestre qui ont inspiré l’Ultra-trail. La Western states est une célèbre course de chevaux d’une distance de 100 miles. Elle fut créée en 1955 en Californie. En 1974, Gordy Ainseigh prétend suivre le parcours en courant. Il mettra 23 heures et 47 minutes. En 1977, l’épreuve destinée à l’espèce humaine est officiellement organisée ! L’Ultra-trail est né !
Cependant, le règlement est fondamentalement différent ! Pour la simple et bonne raison que le cheval n’a pas choisi d’être là … et qu’il ne peut verbaliser sa souffrance … des contrôles vétérinaires sont organisés au départ, tous les 20 à 40 kilomètres et à l’arrivée ! La surveillance est exhaustive. Les professionnels de santé équine analysent le cœur, la respiration, la température, la digestion, l’hydratation, la récupération, les boiteries et les raideurs. À la moindre anomalie, le cheval est éliminé … et soulagé !
SELON LES CRITÈRES DU BIEN-ÊTRE ANIMAL, 80% DES ULTRA-TRAILEURS SERAIENT ÉLIMINÉS
Sous prétexte que l’humain s’est inscrit de son plein gré, indépendamment des pressions sociales, allégé de toute injonction de son inconscient, il ne bénéficie pas des mêmes contrôles ! Parce qu’il pourrait hurler sa douleur physique, il a le droit de continuer … Parce que sa souffrance est rédemptrice, il a le devoir de continuer ! En discutant avec mes patients qui, comme moi, connaissent les deux milieux, la conclusion est sans appel : avec les critères de surveillance animale, 80% des ultras traileurs seraient éliminés … et protégés contre eux-mêmes !
Donner le goût de l’effort n’est pas apprendre à souffrir !
A l’occasion d’échanges avec d’anciens cyclistes professionnels, la remarque est fréquente : « Ce n’est pas le coureur à la plus grosse VO2max qui gagne l’étape de montagne mais celui qui est capable d’endurer le plus de souffrance ! ». Ils complètent leurs discours en indiquant : « À l’entraînement, il est indispensable de briser le plafond de verre ! Il faut aller à la rencontre puis au-delà de ce supplice corporel ! ». En sport de loisir, ce concept n’est pas tolérable … il est trop délétère pour la santé physique et psychologique. À haut-niveau, ce challenge est plus acceptable … Quoique le prix à payer soit souvent astronomique ! Les séries Netflix sur le tour de France et sur l’histoire de Cavendish illustrent les dangers d’une telle stratégie : épuisement, contre-performance, abandon, dépression et idées suicidaires !
MÉTHODE BIENVEILLANTE : RITUALISATION, DIVERSITÉ, NATURE, PLAISIR, BIEN-ÊTRE, SOCIABILITÉ, ÉNERGIE, EFFICACITÉ, DISPONIBILITÉ, SANTÉ !
Bien évidemment, le sport en quantité raisonnable est bénéfique pour la santé ! Il faut cultiver le goût de l’effort et nos gènes peuvent moduler leur expression. Mais le chemin est différent. L’efficacité bienveillante passe par la ritualisation, la diversité incluant des activités dans la nature, le plaisir pendant la pratique voire « l’agréable difficulté », le bien-être après l’entraînement, la sociabilité, l’amitié, la perception de santé et d’énergie au quotidien, le transfert vers la productivité professionnelle et la disponibilité familiale ! On peut même y ajouter une petite dose de valorisation et de réalisation personnelle ! Alors, prenez-soin de vous, gardez la forme et le moral ! Et faites-vous plaisir !
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