top of page

LA SCIATIQUE DE FRENCH SNIPER

  • secretariatdocteur4
  • 6 juin 2023
  • 5 min de lecture

Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport


Kévin a 33 ans. Il est militaire et hyper sportif. Il est affûté et musclé. Il vient me voir depuis l’Est de la France accompagné de sa ravissante épouse. Voilà six ans qu’il souffre d’une douleur au dos qui irradie dans la jambe. Alors qu’il a toujours mal, il poursuit son entraînement ! Il s’efforce de continuer le vélo et le CrossFit.





UNE SCIATIQUE DEPUIS 6 ANS MALGRÉ DE BONS TRAITEMENTS


Sa blessure est survenue en sautant depuis le filin d’un hélicoptère. Dans les suites, il semble avoir été bien pris en charge à l’armée. En effet, une IRM a rapidement montré une petite hernie discale touchant le nerf sciatique qui descend dans le membre inférieur. Il a bénéficié de 3 à 4 mois de repos sportif et de kinésithérapie puis de deux infiltrations parfaitement ciblées. Devant l’insuffisance du résultat, il a été opéré pour enlever le portion du disque abîmée. Là encore, pas d’effet notable ! Bien qu’une bonne rééducation soit programmée, il a toujours mal !


UNE DOULEUR ENVAHISSANTE ET DES EXAMENS NORMAUX


Les chirurgiens réfléchissent et décident de raboter le petit canal osseux d’où sort le nerf, entre deux vertèbres. Malgré l’expertise technique du geste, les douleurs sont encore là ! Alors, les médecins pensent que le disque lésé est désormais trop tassé ; ils injectent un produit visqueux à l’intérieur. Rien n’y fait ! La souffrance reste envahissante ! Pour complexifier le tableau, l’IRM récente montre un disque bien cicatrisé et aucun conflit avec le sciatique. L’EMG, ou électromyogramme, montre que l’influx nerveux à travers le nerf sciatique s’effectue sans encombre ! Confronté à cette évolution défavorable, il m’avoue que les médecins militaires l’ont mis inapte au service ! Il est dépité !


Le Doc : Bon Kévin, le tableau est complexe et surprenant ! Je vais vous examiner de façon consciencieuse et exhaustive !


Les tests cliniques montrent que la colonne vertébrale de Kévin est parfaitement souple. Les tests qui mettent en compression les hernies et ceux qui tirent sur le nerf sciatique ne déclenchent aucune douleur. Les pressions sur les vertèbres ne provoquent qu’une gêne banale …


Le Doc : Kévin, il faut qu’on discute ! Votre traumatisme est-il survenu pendant un exercice ou à l’occasion d’une intervention en zone de conflit ?


Kévin : J’étais dans les commandos. Nous faisions une incursion en territoire ennemi …


Le Doc : Et comment s’est passé cet assaut ?


Kévin : Ouah ! Ça a été très chaud ! On en a pris de partout ! J’avais super mal depuis la chute de l’hélico, j’avais beaucoup de difficultés à me déplacer et à courir ! J’ai cru que j’allais y rester !


Le Doc : Kévin, avez-vous vu American Sniper ?


Kévin : Oui bien sûr ! … Et je suis sniper !


Le Doc : Souvenez-vous, même en permission, il emmène ses souffrances émotionnelles à son domicile ! Il est toujours envahi par la guerre ! Je crois que vous avez emmené vos douleurs et qu’elles envahissent désormais votre quotidien ! Vous les avez mémorisées à l’occasion d’un stress inimaginable ! Vous les avez inscrites à travers les connexions de vos neurones, dans votre cerveau … mais votre nerf n’a plus rien ! Votre sciatique est un authentique syndrome post-traumatique.


DES DOULEURS MEMORISÉES, UN SYNDROME POST TRAUMATIQUE


Kévin : Mais, ça fait longtemps, ça aurait dû passer !


Le Doc : Oh là Kevin ! Il est beaucoup plus difficile d’oublier que d’apprendre ! Demandez aux victimes de viols qui portent plainte après 15 ans d’angoisse ou de dépression. Demandez aux survivants du Bataclan cachés sous des cadavres … j’en connais … Ils font encore des cauchemars des années après !


Kévin : Moi aussi, je me réveille parfois en sursaut, trempé de sueur ! Pourtant, j’ai été formé ! J’étais dans un corps d’élite !


Le Doc : Vous n’en êtes pas moins « Homme » … et c’est plutôt une bonne nouvelle. Vous n’étiez probablement pas fait pour donner la mort ! C’est peut-être la vraie raison de votre inaptitude. Votre humanité sera un atout majeur pour votre reconversion ! L’habitude des conflits ne change rien ! On peut même penser que l’accumulation des traumas fragilise … Je lisais récemment une effroyable statistique. Durant la guerre du Vietnam, 25 000 morts américains sur le terrain, et 40 000 suicides de retour aux Etats-Unis ! Le syndrome post traumatique a tué plus que les armes ! Kevin, vous êtes normal ! L’expression pudique de votre souffrance, c’est très humain ! Mais, on va vous prendre en charge et on va vous sauver ! Bientôt, vous n’aurez plus mal et vous retrouverez votre joie de vivre !


L’EXPRESSION PUDIQUE D’UNE SOUFFRANCE : UN CRITÈRE D’HUMANITÉ !


Le grand costaud, l’ancien commando, prend la main de son épouse et fond en larmes !


Kévin : Cette fois j’ai compris ! C’est important ! Je me sens déjà un peu soulagé … comme plus léger ! Alors, je vais pouvoir reprendre le sport sans crainte ?


Le Doc : Bien sûr ! Vous allez continuer ! Vous allez vous faire plaisir ! Votre corps parlera encore un peu ! Pas de drame ! Laissez-le causer ! Et nous allons arrêter de nous exciter sur votre colonne vertébrale et votre nerf sciatique. Vous allez définitivement ranger votre pile d’examens complémentaires. Tous ces bilans vous épuisaient et vous enfermaient dans votre pathologie ! Surtout, nous allons chouchouter vos émotions.



ARRÊT DES SOINS TRAUMATO - DÉBUT DES SOINS PSYCHO


Je vous adresse à un psychiatre qui fait de la vidéoconsultation, spécialiste des syndromes post-traumatiques. Il jugera de l’opportunité d’un traitement médicamenteux. Il vous initiera à la méditation. Vous ferez de l’hypnose et de l’EMDR. Vous allez ranger votre trauma ! Promis ! Il ne fera plus irruption dans votre vie !


Lorsque je revois Kévin quelques semaines après, il m’avoue avoir pleuré après ma consultation tout au long des 4 heures de voiture qui le ramenaient à son domicile. Et il ajoute : « ça m’a fait du bien ! ». Mais aujourd’hui, il va déjà beaucoup mieux. Il est pris en charge, il chemine sur la bonne route. Il a intensifié le vélo. Il a encore un peu mal au dos quand il envoie du braquet. Il me montre en photo la superbe machine qu’il s’est offerte.


ENFIN, UN SPORTIF COMME LES AUTRES


Je le trouve trop penché en avant et je lui propose de remonter sa potence … Il s’inquiète encore un peu car il ressent des fourmis dans les doigts quand il pédale plusieurs heures. Je lui dis que c’est habituel, voire normal. Je l’invite à lâcher le cintre et à secouer ses mains régulièrement. Il est estomaqué par ma réponse ! Il découvre que c’est sans gravité ! Quelques mois plus tard, il m’apprend qu’il a renoué avec la compétition cycliste. Mais il est moins bon qu’à l’entraînement … il se met trop la pression ! Je lui propose de consulter notre préparatrice mentale pour qu’il apprenne à doser sa motivation ! Je suis ravi que sa psychothérapie s’occupe désormais … de détails sportifs 😊.

 
 
 

Kommentare


bottom of page