Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport?
Laurent a 38 ans. Il court depuis des années avec assiduité. Pour limiter l’onde de choc à la réception de chaque foulée mais aussi pour gagner en rendement, il est progressivement passé à un appui avant pied. De fait, il a vu peu à peu disparaître ses douleurs de tibia. De surcroit, il a grappillé 1 à 2 minutes au 10 km. Cependant, il vient me voir car il présente désormais une tendinite d’Achille
Le Doc : Laurent, votre histoire est emblématique de votre passage au minimalisme. Votre modification technique a permis d’ajouter des amortisseurs à votre foulée : votre cheville et votre mollet. Votre squelette a été moins secoué. De surcroit, les muscles latéraux stabilisant cette articulation, les fibulaires et les jambiers, ont gagné en vigilance. Votre appui est devenu plus tonique, votre pied s’est moins affaissé vers l’extérieur, la membrane entourant votre tibia a moins subit de torsion. Bref votre périostite est guérie !
Laurent : Je crois aussi que la réduction de l’amplitude de ma foulée m’a bien aidé …
Le Doc : Bien sûr, Vous avez réparti les contraintes mécaniques sur de plus nombreux appuis ! J’aime dire à mes patients sportifs qu’il est moins délétère pour l’appareil locomoteur de descendre l’escalier plutôt que de sauter par la fenêtre. Je compare aussi la diminution de l’amplitude et l’augmentation de la fréquence de la foulée au fait du mouliner à vélo. En cyclisme, éviter les gros braquets, tourner vite plus les jambes soulagent les articulations et contribuent largement à éviter les douleurs de rotule. Il est d’ailleurs étonnant de constater que la cadence minute proposée est identique : 180 pas en courant et 90 tours en pédalant. A croire qu’il s’agit d’un rythme physiologique et naturel !
Laurent : J’ai constaté aussi la disparition des tensions musculaires que j’avais sur le côté du tibia …
Le Doc : En effet, nous en avions discuté. Vous étiez victime d’un petit « syndrome de loge ». Il s’agit de l’étouffement des muscles situés en avant et sur le côté externe du tibia. Ils sont chargés de relever le pied. Ils travaillent beaucoup lors d’une foulée avec attaque du talon. Ils prennent du volume et finissent comprimés dans le sac fibreux qui les entoure. La pression augmente, le sang et l’oxygène n’arrivent plus. Ces muscles en souffrance gonflent et la pression s’accroît encore … un vrai cercle vicieux. Il est évident qu’en propulsant vers l’avant votre jambe avec le pied relâché, vous les avez soulagés !
Laurent : Et ma tendinite d’Achille alors ? C’est à cause de ma foulée minimaliste ?
Le Doc : Très probablement ! En faisant travailler le piston amortisseur de votre cheville, vous avez surmené le mollet et son tendon. Vous leur avez imposé des contraintes de freinage. En réceptionnant sur la pointe des pieds, votre talon part vers le sol et le mollet tire en sens inverse pour amortir le mouvement et emmagasiner l’énergie élastique. Entre les deux, votre tendon d’Achille est et des microdéchirures se produisent. Voilà pourquoi, cette blessure est caractéristique de la foulée minimaliste, surtout pendant la période d’adaptation qui peut durer une bonne année. Sans compter, qu’on retrouve aussi des fractures de fatigue sur les os de l’avant pied. En effet, les longues baguettes osseuses prolongeant les orteils sont confrontées à l’impact de la réception suivi d’une légère torsion lors de la propulsion. Elles finissent par se briser comme un fil de fer maintes fois contorsionné.
Laurent : Alors si toutes les techniques de course ont leurs lésions, comment faire ?
Le Doc : Vous avez raison ! J’aime dire qu’il y a des blessés dans les deux camps ! L’une des solutions consiste à « croiser votre entraînement ». Vous connaissez le concept classique qui consiste à alterner les disciplines d’endurance : course, vélo, natation, cardiotraining en salle, etc. Les études ont bien mis en évidence que cette stratégie permettait de réduire les traumatismes. On sait que 88% des coureurs se blessent chaque l’année contre 66% des triathlètes alors que ces derniers ont un volume d’entraînement supérieur. Tout en précisant que les adeptes du triple effort parviennent le plus souvent à garder la forme en pratiquant dans leurs autres disciplines ! Sans oublier que les phénomènes dits de « transfert » entre les sports favorisent l’amélioration de la performance ! Pour l’exemple, Vincent Luis, un de nos excellents triathlètes français, est allé faire un entraînement de course à haute intensité à l’occasion des championnats nationaux de cross ! A l’issu, il monte sur la deuxième marche du podium ! Ses poursuivants se sont alors posé La question : « Et, si on mettait un peu de vélo et de natation dans notre préparation ? ».
Laurent. Il faut donc que je pédale, que je nage ou que je fasse de l’elliptique pour bosser mon cœur et reposer mes tendons !
Le Doc : Oui, c’est très bien ! Mais vous pouvez affiner encore la démarche à l’occasion d’entrainement croisé en course à pied … Une étude étonnante indique que changer de chaussures … et donc de foulée au cours de la semaine réduit de 40% le risque de blessure ! Compte tenu que votre tendinite n’est pas très grave, on peut commencer comme ça … avec un peu de kiné et de complément nutritionnels. Un coup vous êtes tonique sur la pointe des pieds, un coup vous reposez Achille avec une chaussure amortissante munie d’un bon drop, vous savez la différence de hauteur entre l’avant et l’arrière de la semelle. Personnellement, je suis plutôt minimaliste mais j’alterne : Vibram sans concession, Altra plus indulgente, HOKA à drop mini mais amorti maxi … et enfin, quand Achille siffle un peu, New Balance avec un gros talon bien épais ! Et tout rentre dans l’ordre ! Bref, il est vivement conseillé de « croiser son entraînement » et de « croiser ses chaussures » !
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