Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport.
Sébastien a 42 ans. Il fait du trail … et plutôt de l’ultra ! Il aime me dire qu’il en a besoin pour brûler son stress professionnel. Il a monté une boîte de « consulting informatique » qui tourne très bien. Il me consulte car son tendon d’Achille l’empêche de courir autant qu’il le souhaite. Il me dit aussi qu’il se sent fatigué.
Le Doc : Chez un coureur assidu, la souffrance du tendon d’Achille est souvent liée à un excès de charge de travail. Racontez-moi votre semaine d’entraînement type.
Sébastien : Je cours tous les jours ou presque. De temps à autre, je croise avec une sortie vélo … je sais que vous aimez ça ! Exceptionnellement, je prends un jour de repos … mais c’est très rare. De toute façon, je me réveille à l’aube et je pars courir … Ca m’aide à y voir plus claire parmi tous les soucis que j’ai ressassé dans la nuit !
Le Doc : … Vous avez un mauvais sommeil ?
Sébastien : Depuis quelques mois c’est plus compliqué, les réveils nocturnes sont nombreux … et j’ai même du mal à m’endormir à l’occasion de la petite sieste que je m’octroie après le déjeuner dans mon bureau.
Le Doc : Ah oui ! Vous tirez un peu sur la corde … La métaphore est bien adaptée pour votre tendon d’Achille ! Ce dernier est un peu votre fusible … Il vous indique que vous faites chauffer tout votre corps, votre appareil locomoteur … et votre cerveau !
Sébastien : Non, non ! Je ne souffre pas au boulot ! J’adore mon métier !
Le Doc : La passion sportive et professionnelle n’est pas un facteur de protection du surmenage ! Le plaisir ressenti à l’occasion de ces activités constitue plutôt un facteur de risque de surentraînement ou de burn-out … et parfois de dépression !
PASSION ET PLAISIR NE PROTEGENT PAS DU SURMENAGE, AU CONTRAIRE !
Ces entités sont d’ailleurs des cousines, des sœurs voire des jumelles biologiques ! Le mécanisme d’épuisement cérébral est très voisin !
Sébastien : Mais, j’ai toujours eu ce mode vie hyperactif …
Le Doc : Oui ! Cependant, votre physiologie a changé ! Vous avez plus de 40 ans et vos neurones aussi ! Dans ces cellules du système nerveux, vous avez les mêmes centrales énergétiques que dans vos muscles, les fameuses mitochondries. Ces organites microscopiques sont nos usines à combustion.
AU FIL DES ANS, PERFS DES MUSCLES ET DU CERVEAU REGRESSENT
Et, au fil des années, cette oxydation intense finit par faire rouiller leur propre structure. Les performances diminuent … sur 10 km, sur marathon … et dans le cerveau ! Ce qui est le plus énergivore, c’est le changement de tâche permanent. Il faut freiner un premier réseau neuronal en pleine action et lancer le second … puis rapidement réactiver le premier ! Vous imaginez la quantité de messagers chimiques, de neuromédiateurs à synthétiser puis à dégrader ! Il y a de quoi vider les stocks !
Sébastien : Ah, oui ! Ça c’est vrai ! Le virevolte entre les mails, les sms, les coups de téléphone et les collaborateurs qui rentrent dans mon bureau !
Le Doc : Pour moins vous fatiguer, je vous invite sincèrement à vous organiser afin de faire une seule chose à la fois ! Les mails de 9 à 11h. Les collaborateurs prennent rendez-vous de 11 à 13H. Etc.
MULTI TACHES, LE PLUS EPUISANT POUR LE CERVEAU
Vous serez gagnant, des données neurosciences indiquent qu’il faut en moyenne 64 secondes pour revenir efficacement à l’activité interrompue ! Une étude a même montré un gain de productivité de 30% lorsque les équipes renoncent au concept du multitâches … sans parler du bien-être au travail !
Sébastien : … je suis fatigué d’accord ! Mais mon tendon d’Achille est-il vraiment abîmé ?
Le Doc : Oui, un peu ! A l’examen on perçoit une petite zone épaissie et sensible. L’échographie confirme la présence d’une induration d’un bon centimètre. Cet emplacement correspond à une cicatrice formée à l’issue de micro ruptures. Les fibres sont enchevêtrées et recassent lors de la réception des foulées, quand la cheville s’affaisse et que le mollet se contracte et tire en sens inverse. Il faut masser énergiquement et assouplir cette zone puis faire des étirements lents qui alignent les fibres sans les abîmer. A vélo, il n’y a pas de freinage articulaire, que de la poussée. Le tendon n’est pas écartelé comme en course, il ne souffre pas ! Vous pouvez pédaler vite et longtemps pour garder la forme … et poursuivre votre préparation ! De le même manière, en salle, il vous est possible de fractionner sur elliptique.
L’ENTRAINEMENT CROISE POUR VOUS PREPARER
UN PEU DE COURSE POUR REEDUQUER VOTRE TENDON D’ACHILLE
Au grand air, en marchant avec des bâtons, comme en trail, les contraintes sont moins élevées qu’au footing … vous pourrez randonner activement ! Le jogging participe même à la « mécanisation » du tendon … Vous pourrez trottiner si la douleur disparaît à l’échauffement et, si elle revient, vous pouvez taquiner le seuil douloureux quelques kilomètres. Attention, si vous boîtez, vous arrêtez !
Sébastien : … Mais je vous l’ai dit c’est ce qui se passe actuellement ! J’ai mal au début … puis ça passe et ça revient après deux bonnes heures ou quand j’accélère ! Je crains que ça s’aggrave !
Le Doc : En effet ! Je vous décris le traitement pour vous rassurer ! Quelle meilleure rééducation à la course à pied que la course à pied … Il vous suffit de moduler vitesse et durée … et de croiser un maximum à vélo de route, en VTT, en salle sur elliptique ou en rando bâtons ! Parallèlement, les exercices de kiné et les compléments alimentaires peaufineront l’adaptation de votre tendon ! Vous serez prêt !
Sébastien : C’est vrai que tout cela m’inquiète ! je pense beaucoup à mon tendon !
Le Doc : Un cerveau fatigué et anxieux a du mal à classer les informations non pertinentes. C’est pourtant sa fonction tout au long de la journée ! Au petit matin, quand vous enfilez vos chaussettes, vous percevez les tensions du tissu. C’est utile pour placer les orteils et le talon au bon endroit. Tout le reste du temps, les informations cutanées persistent mais vous ne les sentez plus … elle sont devenues sans intérêt, votre système nerveux les a sélectionnées comme « non pertinentes » !
UN CERVEAU FATIGUE PEINE A ELAGUER LES INFORMATIONS NON PERTINENTES
Chaque seconde, votre cerveau reçoit 11 000 informations et il en sélectionne 5 qui remontent à votre conscience. L’épuisement affecte ce mécanisme actif … Trop de renseignements agressent le cerveau … les psychologues parlent de « vacarme silencieux » … L’angoisse et vos projets sportifs vous amènent choisir des données qui vous inquiètent ! Et votre tendon d’Achille vous envahit !
Sébastien : Un peu de sérénité contribuera à réduire ma douleur !
Le Doc : Là encore, les psy jouent de la sémantique. Ils différencient douleur et souffrance. La première est l’information neurologique objective véhiculée par vos nerfs et la moelle épinière. La seconde constitue son interprétation cérébrale qui diffuse au sein des secteurs du cortex dévolus aux émotions.
DOULEUR + EMOTION = SOUFFRANCE
Un peu de kiné et des réglages dans votre entraînement diminueront vos douleurs mécaniques. Un peu d’apaisement et de récupération neurologique atténueront votre souffrance émotionnelle autour de votre tendon ! … Et surtout, vous évitera une glissade vers un épuisement complet en neuromédiateurs de la vigilance et de la sérénité. Il s’agit d’une vraie maladie cérébrale, particulièrement douloureuse : le surentraînement et le burn-out !
Sébastien : Un gros coup de fatigue ! On se repose et on s’en remet rapidement !
Le Doc : Ouah ! Pas évident ! C’est plutôt long et difficile ! J’en veux pour illustration le témoignage d’une de mes patientes … ces propos s’offrent le droit « politiquement incorrect » car ils sont authentiques et méritent d’être connus ! … Alors qu’elle avait été victime d’un cancer et d’une dépression d’épuisement, je lui demande : « Quel a été le plus dur ? ». Elle me répond … « j’ai honte docteur … mais la dépression ! » … J’ose alors lui demander pourquoi ? … et elle complète : « Pendant mon cancer j’avais envie de vivre, pendant ma dépression j’avais envie de mourir ».
Sébastien : Ah oui ! la prudence s’impose ! Que me préconisez-vous ?
Le Doc : Loin de moi, les formules magiques ! Je vais d’ailleurs vous adresser à un confrère spécialiste pour prendre en charge votre anxiété et votre insomnie. Je peux néanmoins vous glisser quelques conseils. Réduisez le sport et le boulot. C’est validé, les bienfaits de l’activité physique diminuent au-delà de 7 heures par semaine.
AU DELA DE 7H/SEM, LES BIENFAITS DU SPORT DIMINUENT
Inspirez-vous de cet ordre de grandeur pour votre entraînement hebdomadaire et peut-être aussi pour la durée maximum de votre trail ! Continuez à bouger bien-sûr malgré votre lésion tendineuse sans gravité. Pédalez, nagez, faites de l’elliptique et de la rando bâtons. Trottinez aussi ! Profitez de vos belles balades dans la campagne ; les « bains de nature » ont prouvé leur utilité pour réduire le stress et l’anxiété … mais 2 à 4 heures hebdomadaires suffisent.
TROTTINEZ, PEDALEZ DANS LA NATURE EN MEDITANT
De temps à autres, pendant quelques minutes, accueillez l’ensemble de vos sensations. Contemplez le spectacle, les odeurs et les bruits de la nature. Percevez votre respiration, la posture de votre buste, le balancement de vos bras, le rythme de votre foulée, le déroulé de votre pied … et pourquoi pas le tiraillement de votre tendon ! En l’acceptant ainsi, il n’aura plus a s’imposer à votre conscience ! En le diluant ainsi avec l’ensemble des ingrédients de votre corps, il retrouvera sa véritable intensité !
Sébastien : Vous décrivez de la méditation en courant !
Le Doc : Bien vu Sébastien ! Cette pratique a démontré son efficacité pour lutter contre l’anxiété. Elle favorise la récupération du cerveau en remettant en action le « système nerveux parasympathique », celui qui apaisent les fonctions réflexes et végétatives … En cela, il s’oppose au « système nerveux sympathique » qui s’enclenche à l’effort et au cours du stress …
Sébastien : Pourtant, le sport me fait du bien !
Le Doc : Oui, bien sûr ! Pour deux raisons neurobiologiques ! Premièrement, les hyperactifs sont apaisés par les hormones du stress. Ils ont besoin de leur dose … comme un cocaïnomane souffre en l’absence de ses excitants. Pour illustrer cette notion, je vous fais part d’une étude scientifique. Des souris ont été génétiquement sélectionnées pour courir dans leur petite roue 11 kilomètres chaque nuit. Si on leur donne de la Ritaline, un médicament qui libère l’adrénaline excitante, elles réduisent leur agitation et trottent quelques minutes par jour, comme les lignées de souris sédentaires.
LES HORMONES DU STRESS APAISENT LES HYPERACTIFS
… MAIS FINISSENT PAR LES EPUISER !
Deuxièmement, après l’effort, le corps enclenche les mécanismes biologiques visant à optimiser la récupération. La réaction la plus connue est le ralentissement du cœur. Voilà pourquoi l’athlète entraîné a une fréquence cardiaque de repos plus basse que la moyenne. Bien sûr, ce processus de régénération se prolonge jusqu’au fond des cellules cérébrales.
LES PROCESSUS DE RECUPERATION CALMENT LE CERVEAU
Le système nerveux sympathique dédié au mouvement et au stress est inhibé, le parasympathique devient prédominant assurant calme et sérénité. Entre l’action et la récupération, cette vague biologique vous apaise …
Sébastien : Donc, le sport me fait du bien !
Le Doc : Oui, bien-sûr ! Loin de moi l’idée de vous en priver ! Je vous ai proposé de continuer ! Mais je vous ai suggéré quelques « réglages » … Et, je vous invite à peaufiner encore votre stratégie « sport et bien-être ». Potentialisez, l’effet rebond du sport ! Réduisez la charge d’entraînement mais finissez par un retour au calme sous forme de méditation.
MEDITATION GUIDEE LORS DU RETOUR AU CALME
Désormais, rien n’est plus simple. Optez pour une appli proposant des méditations guidées. Elles sont nombreuses. La plus connue est « Petit Bambou ». Cette dernière consacre d’ailleurs un cursus à la prévention du burn-out. Il existe aussi d’excellents bouquins avec des QR codes pour récupérer sur la toile des sessions audios.
Sébastien : Oui, j’ai essayé ! Je n’y arrive pas !
Le Doc : … Super ! Ne pas parvenir à faire de la méditation est une excellente indication à faire de la méditation ! Soyez juste indulgent avec vous-même ! Renoncez à la perfection ! Vous échappez au discours ? Revenez-y quand vous en prenez conscience. Faites-le 10 fois, cent fois … Avec bienveillance ! sans esprit de performance ! Faites ce que vous pouvez … loin des objectifs comptables de votre entreprise … ou des chronos de vos trails ! Pas de bilan en fin de session ! Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise méditation.
Sébastien : Un peu comme en Trail … Le parcours est long et sinueux ! On descend pour remonter ! Mais, on avance toujours …
Le Doc : C’est vrai ! Dawa Sherpa, champion de trail et moine Bouddhiste, aime à dire que, dans la vie comme en course, l’important n’est pas la destination mais le chemin … . Alors, profitez de l’instant présent. Renoncez à certains objectifs, méditez en trottinant, méditez en récupérant ! Voilà quelques pistes pour « s’apaiser sans s’épuiser » !
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