Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport.
Rédacteur en chef de www.docdusport.com
Aurélien a 38 ans. Il vient me voir après les 10 kilomètres de la Tour Eiffel. Il est désemparé ! Il a fait un malaise. Il a été emmené aux urgences. Les médecins n’ont rien trouvé, l’électrocardiogramme décrivant l’activité électrique du cœur au repos était strictement normal. On lui a juste mentionné une tension artérielle un peu basse et un léger manque de sucre dans le sang. A bien y regarder, le bilan sanguin montre une concentration en sel à la limite supérieure de la normale évocatrice d’une petite déshydratation. Bref, rien de grave ! Mais que s’est-il passé ? Il est inquiet et interrogateur ! Il veut comprendre !

Le Doc : En effet, j’ai fait cette course. Elle était un peu difficile. Il faisait chaud ! Un des premiers week-end printaniers à température élevée après quelques mois de footing dans les frimas hivernaux. Mais racontez-moi. Quel est votre programme d’entraînement ? Que faites-vous comme sports ?
Aurélien : Je fais beaucoup de ski. Au moins deux semaines par an et plusieurs week-ends. En été, je passe mes vacances dans le sud-ouest, j’adore le surf.
Le Doc : Et, dans l’année ? Comment faites-vous pour garder la forme ?
Aurélien : De temps à autre, je joue au tennis. Mais, en période scolaire, impossible de faire plus ! Avec un boulot très prenant … il m’arrive de gérer des courriels le soir … et surtout des enfants en bas-âges à emmener et parfois à récupérer à la crèche, je n’ai vraiment pas le temps !
Le Doc : Mais qu’est-ce qui vous a pris d’aller faire les 10 kilomètres de la Tour Eiffel ?
Aurélien : C’est Thierry, un collègue de bureau qui fait beaucoup de trail qui m’a enrôlé dans cette histoire. Il m’a dit : « Tout le monde peut faire 10 bornes, c’est la plus petite distance en course sur route ».
Le Doc : Vous n’avez décompensé aucune pathologie ! Vous avez juste payé votre manque de préparation ! Votre tableau d’épuisement s’intègre à un « syndrome de l’open space »
Aurélien : Un « syndrome de l’open-space » ?
Le Doc : C’est l’expression utilisée pour décrire cette récente pression sociale notamment en provenance du milieu professionnel. Elle banalise les épreuves de course à pied et pousse à la surenchère pour se valoriser dans l’entreprise et sur les réseaux sociaux. Il faut désormais cocher des cases pour exister … Le niveau de ces injonctions ne correspond pas aux capacités naturelles du corps sédentarisé depuis de nombreuses années. La cadence infernale de la progression demandée ne répond aux capacités d’adaptation du corps. Bref, on ne fait pas un 10 kilomètres sans entraînement ! On ne fait pas un marathon après 3 mois de préparation ! On ne fait pas un ultra-trail après un an de course à pied !
ON NE FAIT PAS UN 10 KILOMETRES SANS ENTRAINEMENT !
ON NE FAIT PAS UN MARATHON APRES 3 MOIS DE PREPARATION !
ON NE FAIT PAS UN ULTRA-TRAIL APRES UN AN DE COURSE A PIED !
Ces invectives remplissent mes consultations, nourrissent ma famille et m’emmènent en vacances … et parfois boostent l’activité des services de réanimation cardiovasculaire ! une séance de sport occasionnelle multiplie par 100 le risque de crise cardiaque à l’effort et par 56 la probabilité de mort subite ! A l’inverse que l’activité physique régulière 3 à 4 fois par semaine divise par 3 la menace d’infarctus …
Aurélien : Alors, comment faire ?
Le doc : Le corps a besoin de temps ! … Le turn-over du collagène, la protéine fibreuse qui structure l’ensemble de notre appareil locomoteur est de 3 ans. Cela signifie que l’armature de nos os, nos tendons, nos ligaments, nos cartilages se renouvelle tous les 3 ans … et s’adapte complètement en 3 ans ! J’ai bien l’anecdote des meilleurs pur-sangs arabes du monde entraînés aux Emirats pour les grosses compétitions d’endurance équestre de 160 kilomètres … En anatomie comparée, les chevaux courent sur les doigts et disposent d’une VMA de 45 km/h … leurs membres sont donc particulièrement sollicités et fragiles. Là-bas, la tradition, validée par des vétérinaires de haut-niveau, consiste à les débourrer à 3 ans. Et de 3 ans à 6 ans, ils marchent dans le sable et les cailloux … Ils font de l’appareil locomoteur ! Pas de trot, pas de galop … pas de cardio qui progresse trop vite !
L’APPAREIL LOCOMOTEUR S’ADAPTE EN 3 ANS
LE CARDIO S’ADAPTE EN 6 SEMAINES
Je parle de « syndrome du dragster » pour les blessures qui surviennent quand les protocoles de course à pied suivent la progression énergétique. Vous le savez, ces bolides sont constitués d’un énorme moteur posé sur une frêle carrosserie et de toutes petites roues à l’avant ! L’ensemble de ce mécano finit souvent décomposé à l’issue des sprints de 400 mètres proposées en compétition … Chez le sédentaire repenti victime du « syndrome de l’open-space », il se produit le même phénomène. Ses muscles, son cœur sont rouges gorgés de sang et traversés par une multitude de vaisseaux. Leurs métabolismes est intenses, ils progressent très vite ! En 3 à 6 semaines, la VO2max peut progresser de 20 à 30% ! A l’opposé, ses os, ses tendons, ses cartilages sont gris, mal vascularisés. L’adaptation est laborieuse … et avoisine les fameux 3 années du turn-over du collagène ! e laisser emballer par l’amélioration de son cardio, c’est à coup sûr malmener son appareil locomoteur et finir blessé dans mon bureau !
Aurélien : Mais moi ! Ce ne sont pas les articulations qui ont coincé !
Le Doc : Bien sûr … Vous avez fait fort ! Vous n’avez attendu ni l’adaptation du cœur, ni celle du métabolisme énergétique musculaire, ni même celle des vaisseaux pour évacuer la chaleur … ça arrive chez les candidats aux 10 bornes sans entraînement ! De toute façon, nous allons peaufiner votre bilan avec une prise de sang, une échographie cardiaque et une épreuve d’effort incluant le mesure des échanges gazeux. Au-delà, de finir de nous rassurer concernant votre santé, nous pourront évaluer votre condition physique et vous proposer un programme d’activité physique individualisé et progressif … Moins présomptueux que celui que vous aviez envisagé mais bien meilleur pour la santé et la forme ! Même si je ne suis pas inquiet pour votre avenir sportif, sachez que certains individus n’auront jamais la possibilité d’enchaîner 42 kilomètres en courant ! Les raisons peuvent être nombreuses.
CHACUN SON NIVEAU : COURIR UN MARATHON N’EST PAS NECESSAIRE POUR ETRE EN FORME … ET ENCORE MOINS POUR EXISTER !
Premièrement : manque de talent énergétique amenant à des durées d’effort déraisonnables, … 5 heures voire 6 heures ou plus … soit 2 à 3 fois plus que l’élite qui, passé ce délais, a déjà profité dans son hôtel d’un massage, d’une collation et d’une sieste ! Deuxièmement : fragilité constitutionnelle avec imperfection morphologique ou subtile anomalie génétique au sein des nombreuses protéines constituant l’appareil locomoteur … En centre de formation au football professionnel … que je connais bien … on parle de « sélection naturelle » pour décrire l’élimination progressive des gamins qui accumulent les blessures et n’accèderont jamais au haut-niveau ! Mais finalement tout ça n’est pas dramatique ! Inutile de courir un marathon pour être en forme et accéder aux vertus du sport santé ! Inutile de faire de l’ultra-trail pour exister …
Aurélien : Alors que faire en pratique pour la santé et la forme ?
Le Doc : Les études scientifiques et la vraie vie nous amènent à proposer 3 séances de cardio par semaine. Classiquement, deux courses à pied auxquels on ajoute de la salle, de la piscine ou du vélo. La durée est de 30 minutes à 1 heure. L’intensité est telle qu’on peut parler mais pas chanter. Riche de cette préparation, le 10 kilomètres est accessible en toute sérénité après 6 mois d’entraînement. Dans un monde idéal, on complète avec deux cessions de renforcement et une de mobilité … sans oublier le jour de repos hebdomadaire. Ce programme santé est validé par les plus grandes institutions nationales et internationales.
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