Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport
Mathieu a 28 ans. Il est triathlète professionnel et entraîneur. Il vient me voir pour une pubalgie, la fameuse douleur des footballeurs située sur le pubis, en bas du ventre. Je suis très étonné car cette blessure touche habituellement les sportifs qui sollicitent les adducteurs et réalisent de nombreux pivots ou déplacements latéraux. Tout l’inverse du triathlon ! Alors, je l’interroge …
LA PUBALGIE : UNE BLESSURE RARE EN ENDURANCE
Le Doc : Dis-moi, Mathieu ! Qu’avais-tu fait de particulier avant d’avoir mal ? Avais-tu réalisé un échauffement atypique incluant des éducatifs type « pas chassés » ou « pas croisés » ? … une grosse séances de musculation avec des exos d’adducteurs ou des squats genoux écartés ? … Une partie de de foot improvisée avec des copains ?
Mathieu : Non, c’est bizarre ! Rien de tout ça !
Le Doc : As-tu beaucoup augmenté la durée de tes footings ? Il existe des fractures de fatigue du pubis chez les coureurs qui abusent des kilomètres. L’articulation est cisaillée par les appuis alternés sur une jambe.
DES FRACTURES DE FATIGUE DU PUBIS CHEZ LES COUREURS
Mathieu : Pas du tout ! Je suis plutôt en cycle de régénération …
Le Doc : As-tu enchaîné des abdos de warrior … de longues séries de crunchs ? Il arrive que la portion basse et fibreuse des obliques se déchirent jusqu’à provoquer de véritables hernies inguinales. Ensuite, ça fait mal en nageant, quand on va chercher loin devant en tirant sur la paroi abdominale.
DES HERNIES INGUINALES APRES LES CRUNCHS
Mathieu : Non ! je ne fais jamais ça ! J’adhère totalement au concept de gainage, d’abdos hypopressifs et de renforcement intégré à des chaines musculaires fonctionnelles.
Le Doc : As-tu fais des examens ou pris des médicaments ?
Mathieu : J’ai vu mon généraliste qui a fait le diagnostic de pubalgie et m’a donné des anti-inflammatoires. Ca m’a soulagé quelques jours et c’est reparti de plus belle … alors que j’étais encore sous traitement … Du coup, j’ai arrêté ces comprimés.
Mon cerveau est de plus en plus intrigué …
Le Doc : Souffres-tu beaucoup ? Tu as des douleurs la nuit ? … et à vélo ?
Mathieu : J’ai super mal ! J’ai des difficultés à m’endormir et je me réveille souvent. Au début, j’arrivais à pédaler. Le bassin posé sur le selle, je n’étais pas trop gêné. Maintenant, c’est l’enfer, le contact du périnée sur le bec de selle est devenu impossible ! Désormais, je boite même en marchant !
Mon cerveau semble aller chercher quelques souvenirs … ce vieux truc qu’on appelle l’expérience !
Le Doc : Déshabilles-toi ! Je vais t’examiner de façon exhaustive et rigoureuse.
Tous les signes de la pubalgie sont positifs. Mathieu gémit à chaque test ! Pourtant, je suis surtout attiré par un petit bandage autour de son pied …
Le Doc : C’est quoi ce pansement ? Tu me montres ce qu’il y a en dessous ?
Mathieu : C’est une très grosse ampoule. Mon podologue m’a changé mes semelles. En me regardant courir sur son tapis, il m’a dit que j’avais besoin d’un soutien de voute volumineux. Je suis allé courir … J’ai eu mal, j’ai insisté … Et voilà le résultat ! La peau décollée sur 10 centimètres !
Le Doc : Ah oui ! Tu ne te plains pour rien ! Et ce n’est pas beau … c’est infecté !
Je réfléchis un peu … laborieusement 😊 … Une question s’impose !
Le Doc : Dis-moi, tu n’es pas allé nager à la piscine avec ce truc-là ?
Mathieu : Euh … Si Doc ! Vous connaissez mon entêtement ! J’ai mis un peu de film alimentaire et hop ! J’ai enchaîné les longueurs !
Le Doc : Visiblement ta protection symbolique n’a pas suffi ! Tu as offert l’asile à toutes les bactéries de la municipalité … Tu aurais pu mettre une protection spécifique et bien désinfecter en sortant !
PAS DE PISCINE EN CAS DE PLAIE !
Je palpe alors son creux de la hanche. J’y détecte de gros ganglions, ces filtres à microbes pleins de globules blancs qui gonflent pour freiner la remontée des bactéries de la jambe. Je perçois alors l’inflammation qui montent jusqu’au pubis ! Je lui prends sa température, un petit fébricule de 37,8°.
Le Doc : Mathieu ! Tu n’as pas de pubalgie mais une infection du pubis ! On parle d’ostéoarthrite quand l’os et l’articulation sont simultanément touchés. Les germes de la piscine ayant envahi ton ampoule sont remontés. Ils sont remontés jusqu’à ton pubis. Ces microbes sont probablement passés par les vaisseaux sanguins et se sont installés dans cette zone toujours un peu inflammatoire chez le sportif. On ne peut exclure une migration des bactéries par voie lymphatique suivi d’une diffusion locale à proximité de l’aine. J’ai déjà été confronté à un cas comme le tiens quand j’étais médecin au PSG : de petites plaies d’orteils dans des chaussures trop étroites, un drôle de pubalgie et de la fièvre ! C’était une infection osseuse, comme toi !
DOULEUR INTENSE ET INSOMNIANTE DU PUBIS : INFECTION OSSEUSE ?
J’appelle un ami chef de service en rééducation. Je lui raconte le cas atypique de Mathieu. J’envoie directement mon protégé dans son unité, histoire qu’il ne passe pas par les urgences … et ne retourne pas chez lui avec des anti-inflammatoires ! Bien-sûr, il a été hospitalisé. Le bilan complet confirme l’infection osseuse et articulaire mais aussi la diffusion d’un staphylocoque doré dans tous son organisme : une septicémie ! Mathieu a reçu de grosses doses d’antibiotiques en perfusion puis en comprimés. Il a été hospitalisé plus d’une semaine. Il est resté fatigué pendant des mois ! Heureusement, il commence à reprendre sérieusement l’entraînement ! Mais qu’elle galère !
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