Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport
Enzo a 17 ans. Il pratique l’escalade avec enthousiasme et motivation. Il vient me voir pour une douleur atypique au pied. Alors, je l’interroge :
Le Doc : Dis-moi Enzo. Dans quelles circonstances cette douleur est-elle survenue ? Un gros entraînement ? Une modification technique ? Un changement de chaussons ?
Enzo : J’ai commencé à avoir mal au cours d’une séance pendant laquelle j’ai insisté sur une voie difficile. Il fallait prendre une impulsion sur une marche pour saisir une prise haut placée.
Le Doc : Et, tu penses que cet exercice a provoqué ta douleur ?
Enzo : Oui, je crois ! J’ai souffert un peu alors je répétais le mouvement et la douleur a augmenté à froid dans les vestiaires et surtout le lendemain. Je boitais en descendant du lit …
J’examine consciencieusement Enzo. Je retrouve une douleur à face supérieure du pied, à la jonction avec la cheville. Voilà qui est cohérent avec le mécanisme traumatique parfaitement décrit par Enzo. Alors, je lui explique.
Le Doc : Enzo, tu as impacté la base de tes métatarsiens, les baguettes osseuses qui font la jonction entre les orteils et la cheville. Alors que tu prenais appui sur la marche avec la pointe de tes pieds tout, tu descendais ton talon, tu forçais sur ta flexion et tu écrasais la partie haute de ton articulation. En toute logique, ton IRM montre un œdème dans tes os à cet endroit.
Enzo : Quel est le traitement ? combien de temps dois-je arrêter ?
Le Doc : La nature va faire le boulot. Ton articulation et ta contusion osseuse vont cicatriser. Tu vas déjà beaucoup mieux après quelques jours sans grimpette. Tu peux reprendre tranquillement …
LE TRAVAIL TECHNIQUE S’ARRÊTE QUAND LA FATIGUE S’INSTALLE
Mais, le vrai traitement consiste à ne pas reproduire le geste à l’origine de ta blessure ! Et, je t’invite à élargir ta stratégie préventive en tenant compte du message suivant : « Le geste technique s’arrête quand la fatigue s’installe ! »
Enzo : Je suis partant ! Expliquez-moi !
Le Doc : Lorsque tu répètes un mouvement défectueux, envahi par la fatigue, ton cerveau enregistre et apprend ce geste inapproprié … Au lieu de t’améliorer, tu régresses !
INSISTER, C’EST DÉSAPPRENDRE ET C’EST RISQUER LA BLESSURE !
Et, de surcroît, plus tu t’épuises moins tu réussis … As-tu fini par réaliser la voie sur laquelle tu as tant insisté ?
Enzo : Bah ! Non bien-sûr ! Vous avez raison !
Le Doc : Sans compter que cet enchaînement de mauvaises postures mène rapidement à la blessure ! Tu en l’exemple parfait !
Enzo : C’est vrai ! J’ai eu tout faux !
Le Doc : As-tu vu tes voisins, grimpeurs de haut-niveau, insister de la sorte ?
Enzo : Pas du tout, ils se reposent souvent. Ils observent le mur, regardent leurs copains ou alors ils font de la musculation ou des étirements dans la salle mitoyenne.
Le Doc : Tu as tout dit ! Une récupération prolongée est indispensable avant de reproduire un exercice à haut intensité de bonne qualité. La substance énergétique cellulaire nécessaire à un enchainement explosif porte le nom de « créatine phosphate ». Après un exercice difficile, elle retrouve sa concentration initiale au bout de 7 minutes !
7 MN DE RÉCUP AVANT DE RENOUVELLER UN ENCHAÎNEMENT EXPLOSIF DE QUALITÉ
En parallèle, en fin de séance spécifique, tu peux faire du renfo ou du cardio. Il est plus efficace quand tu le programmes sur des muscles qui ont déjà travaillé. De fait, tu as besoin de réaliser moins de séries ou de répétitions pour obtenir le même effet d’adaptation. C’est le concept de l’entraînement physique en « surfatigue ». Ainsi, tu progresses physiologiquement et, progressivement, tu peux effectuer plus d’enchaînements techniques sans te fatiguer, sans déformer ton geste … Et tu progresses plus !
TRAVAIL TECHNIQUE AVANT ENTRAÎNEMENT PHYSIQUE EN « SURFATIGUE »
Je te glisse une autre remarque concernant ton retour pertinent. Tu me dis que les bons grimpeurs regardent beaucoup les autres. C’est essentiel ! Bien évidemment, ils s’enrichissent de données objectives comme le choix des options des trajectoires. Mais, surtout, au cours de cette activité, ils enclenchent le fonctionnement de leur « neurones miroirs ». Quand tu connais un tant soit peu la technique observée, les cellules nerveuses qui programment le même mouvement se connectent dans ton cerveau. Seule ta moelle épinière, le gros câble nerveux qui descend dans ta colonne vertébrale, s’occupe de bloquer l’expression musculaire du geste. Soit dit en passant, les études montrent que, si tu esquisses le mouvement, tu fais encore mieux tourner le programme moteur ! Bref, en regardant les autres, tu améliores ta technique ! Voilà une bonne façon de t’occuper quand tu fais récupérer tes muscles et ton cœur !
Enzo : Mon père me dit qu’on apprend toujours de ses erreurs ! Grâce à vos explications j’ai vraiment démultiplié le concept ! Désormais, je vais m’entraîner tout à fait différemment ! Merci
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