Par le Docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport Rédacteur en chef de www.docdusport.com

« Comment faire de vos enfants des adultes sportifs ? » aurait pu être le titre de cet article. J’ai préféré vous interpeler en vous glissant d’emblée un ingrédient de la recette … contre-intuitif, provocateur et pourtant essentiel. Découvrez toutes les explications et tous les composants de la formule gagnante !
Soyons francs ! Le sport déploie ses bienfaits « santé » surtout chez l’adulte. C’est au-delà de 40 ans qu’il exprime son efficacité contre les maladies cardiovasculaires ou métaboliques. C’est plus tard encore qu’il montre tout son intérêt contre les cancers et les maladies neurodégénératives. L’enfant, lui, bénéficie d’une mécanique biologique toute neuve et il n’est pas encore indispensable de lutter contre l’usure du temps ! Bien évidemment, des situations physiologiques extrêmes apparaissent désormais précocement et l’activité physique reste un rempart contre l’obésité et le diabète de plus en plus fréquents chez nos bambins.
« DEVENIR SPORTIF » PLUS QUE « FAIRE DU SPORT »
Mais le vrai challenge pour l’enfant n’est pas de « faire du sport » mais de « devenir sportif » pour toute la vie. C’est ainsi qu’il profitera d’une sérieuse protection contre les maladies de civilisations et les altérations fonctionnelles d’un corps peu à peu déconditionné.
Une étude fondatrice !
Les cahiers de l’INSERM consacrés à l’activité physique se font l’écho d’une étude de référence sur le sujet. Statistiquement et sur le long terme, emmenez ses enfants au club de sport n’en fait pas des adultes sportifs. Alors, n’hésitez pas à revoir la logistique des transports subtilement partagés parmi les parents des petits footballeurs ! Et s’il n’était pas utile de faire le taxi ! Ces enfants ainsi trimbalés devenaient majoritairement sédentaires lorsque survenait la maturité ! Rien de plus logique, nous y reviendrons !
FAITES DU SPORT AVEC VOS ENFANTS !
Les enfants qui devenaient des adultes sportifs avaient fait du sport avec leur parents ! Au cours des premières années de la vie, le cerveau recèle de puissantes capacités d’apprentissage. Les neurones se multiplient encore beaucoup. On parle de « neurogénèse ». Et surtout, ils établissent et sélectionnent des milliards de connections les uns avec les autres. C’est la « neuroplasticité ». Ces aptitudes se manifestent sur le plan intellectuel, moteur, émotionnel et même social. Dans l’ordre, énumérons quelques exemples. Au cours de cet âge d’or, il est plus facile d’apprendre à parler anglais ou à faire du golf ; les écoles bilingues et autres « Académies sportives » en ont fait leur fond de commerce. Enfant, les traumatismes affectifs sont lourds de conséquences ; Freud déclina cette notion pour échafauder le concept de la psychanalyse ! Et enfin, les schémas sociaux constatés pendant l’enfance constituent aisément des références pour construire sa vie adulte.
MONTREZ A VOS ENFANTS QU’UN ADULTE PEUT FAIRE DU SPORT
En clair, si vous faîtes du sport avec votre enfant, vous témoignez de la possibilité de conjuguer activité professionnelle bien remplie, vie familiale investie et entraînement sportif régulier ! Ainsi, vos progénitures parviendront plus aisément à suivre votre bon exemple ! D’autant plus qu’ils auront aussi découvert sur le terrain toutes les subtilités organisationnelles pour mener à bien cette philosophie de l’existence … A l’inverse, si vous « l’emmenez faire du sport », vous leur proposez un schéma de vie où l’adulte devient chauffeur et spectateur, renonçant le plus souvent à sa propre activité ! Vous lui montrez un ancien pratiquant se consacrant à un jeune pratiquant, futur ancien pratiquant ! Devant lui et pour lui, vous passez le flambeau, vous réalisez un sacrifice générationnel perpétuel pas toujours facile à assumer pour le suivant !
Frustrez vos enfants !
Certains psychologues définissent l’éducation comme « l’école de la frustration ». A bien y réfléchir cette approche n’est pas dépourvue d’intérêt notamment concernant le sport. Le bébé apprend qu’il ne peut pas obtenir immédiatement tout ce qu’il souhaite. En premier lieu, il doit parfois patienter un peu pour combler son appétit. Le bambin sillonnant le supermarché en compagnie de sa maman découvre qu’il n’a pas l’autorisation de repartir avec la totalité du rayon jouet sous le bras ! L’adolescent est bien forcé d’accepter que cette jeune fille ne le trouve pas à son goût et qu’il devra trouver, plus tard, une autre partenaire ! De façon tout à fait comparable, le lycéen comprend qu’il doit réviser plutôt que de sortir samedi soir s’il veut réussir son interro de lundi ! Il en est de même pour le jeune sportif qui renonce à la facilité d’un jeu vidéo pour se rendre à l’entraînement et préparer sa compétition du mois prochain !
FAIRE DU SPORT APPREND A RENONCER A L’OISIVETÉ !
Cette capacité à se projeter vers un objectif gratifiant mais différé est à la fois génétique et acquise ! Le « test du marshmallow » a été mis au point par le psychologue états-uniens Walter Mischel en 1972. Il semble détecter quelques prédispositions et prémices de l’impact éducationnel autour de la volonté. Il consiste à placer un enfant seul dans une pièce avec une table sur laquelle est posée un marshmallow. L’expérimentateur lui explique qu’il lui donnera une deuxième guimauve quand il reviendra dans 15 minutes si le premier n’a pas été mangé ! Bien que les résultats restent controversés, le verdict initial de cette recherche fut sans appel. Le succès au « test du marshmallow » est corrélé à la réussite sociale future. Il pourrait même être rattaché à une pratique sportive assidue ! Cette capacité sociologique à la frustration prend ses racines neurobiologiques dans le cortex préfrontal qui assure l’inhibition des pulsions.
FAIRE DU SPORT DÉVELOPPE LA VOLONTÉ DE FAIRE DU SPORT
Comme son nom l’indique cette zone du cerveau est située derrière le front. Elle est particulièrement volumineuse chez l’homme et, selon bon nombre de chercheurs, elle participe à notre humanité comme en témoigne le front plus fuyant de nos cousins les grands singes. L’histoire de la médecine nous offre une anecdote parfois romancée mais toujours emblématique qui contribua à la découverte de la fonction du cortex préfrontal. Phineas Gage était ouvrier des trains au XIXème siècle. En ce 13 septembre 1848, il creusait un tunnel et enfonçait un bâton de dynamite dans une fissure de rocher avec une barre à mine. C’est alors qu’une étincelle de frottement provoqua une explosion et propulsa l’outil à travers le crâne du contremaitre et détruisit son lobe préfrontal. Dans la version traditionnelle, il survécut à ses blessures mais de salarié modèle il devint vagabond sociopathe. Il était incapable de maitriser son agressivité, marquait son territoire en urinant partout et présentait un comportement sexuel débridé. A l’inverse, l’exercice régulier paraît associé à un cortex préfrontal plus volumineux. Il s’agirait à la fois d’une cause et d’une conséquence, un véritable cercle vertueux. L’enfant ainsi équipé parviendrait à bloquer ces pulsions flemmardes. Et, à l’occasion de ses efforts physiques, il développerait cette zone du système nerveux central. Il en est de même de toutes les frustrations inhérentes à l’éducation qui donnent au cerveau de l’adulte la volonté d’aller courir au petit matin alors que la maisonnée dort encore … ________________________________________________________________ UN JOUR, MANGEZ VOS MARSHMALLOW !
Si l’enfant doit apprendre la frustration pour obtenir une gratification différée, l’adulte doit finir par manger les marshmallows accumulés sur la table de l’expérimentateur ! La course au « toujours plus » dans la contrainte physiologique ou psychologique mènent au surentraînement ou au burn-out voir à la dépression. A un moment, le traileur doit stopper la surenchère des distances et le professionnel doit limiter sa charge de travail ! Un proverbe bouddhiste dit que le bonheur consiste à espérer ce que l’on a déjà » ! _________________________________________________________________
Les sports collectifs, ça ne dure pas !
Le sport collectif est plein de vertus ! Evidemment, il enseigne l’esprit d’équipe. Il apprend à s’adapter à la diversité des personnalités pour mener à bien un objectif commun ! Il cultive l’esprit de compétition et de dépassement de soi ! On croirait une recette managériale dans une multinationale ! Quoi de plus valorisant ? Malheureusement, l’expérience montre que les adultes renoncent rapidement. Rien de plus logique ! Lorsqu’on travaille et fonde une famille, il est difficile de se rendre systématiquement à l’entraînement des mardis et jeudis à 19H30. Sans parler des week-ends bloqués par les matchs et les interminables trajets pour aller jouer à l’extérieur ! Conjoint et enfants ne tardent pas à ronchonner … à juste titre !
ENTRAINEMENTS A HEURE FIXE, COMPET' TOUS LES WEEK-END, LES ADULTES N’ARRIVENT PLUS A FAIRE DES SPORTS COLLECTIFS
Les confinements de la COVID-19 ont amené au cabinet des cas encore plus caricaturaux ! En l’absence de séances de groupe, de nombreux jeunes pratiquants de sports collectifs ont renoncé à tout exercice physique ! Et, bien-sûr, à la reprise, ils se sont blessés ! Plus tard, après 40 ans, ce ne sont plus les contraintes sociales qui limitent ceux étaient tant bien que mal parvenus à continuer. A l’âge où le sport devient indispensable pour entretenir la biologie, c’est l’appareil locomoteur qui hurle de douleur pour réclamer l’arrêt des sauts, des blocages et des pivots !
AVEC LES ANNÉES, L’APPAREIL LOCOMOTEUR N’ASSUME PLUS LES INCESSANTS CHANGEMENTS DE DIRECTION
Le phénomène est d’autant plus marqué qu’avec les années qui augmentent, c’est la taille du terrain qui diminue. Avec le « five » ou le « futsal », les adultes parviennent à programmer plus facilement des entraînements entre amis mais les multiples changements de direction agressent leurs articulations … surtout si ces dernières ne sont pas entretenues par une autre pratique plus régulière et individuelle … Bien évidemment, les sports collectifs ne sont pas contre-indiqués chez l’enfant mais il faut lui fournir les outils pour glisser occasionnellement puis progressivement vers des activités autonomes. Les trêves et les vacances imposent de garder la forme. Elles constituent l’occasion idéales pour découvrir d’autres disciplines. L’école de la frustration y trouve encore une mission pédagogique.
TREVES ET VACANCES, DES OPPORTUNITÉS POUR PRATIQUER DES SPORTS INDIVIDUELS
Cette fois, on ne « joue » plus au foot, au basket ou au hand mais on « fait » de la course, du vélo ou de la natation ! Et puisque l’appétit vient en mangeant, le plaisir vient en pratiquant surtout avec un système nerveux juvénile, apte à tous les apprentissages techniques et émotionnels. Bien sûr, on débute en famille et on continue à courir ou pédaler avec des copains. Le chemin initiatique vers une pratique assidue à l’âge adulte n’est pas terminé ! L’expérience montre que celui qui attend ses amis pour aller faire son footing est souvent déçu ! Il patiente inutilement et ses partenaires ont toujours une bonne raison pour décommander … peut-être sont-ils-il en train de manger des marshmallows !
PRATIQUER SEUL, UNE ÉTAPE INCONTOURNABLE SUR LE CHEMIN DE L’ASSIDUITÉ
Bref, soit il abandonne à son tour et sirote une bière devant Netflix, soit il gagne en autonomie et part trottiner sans être accompagné ! Ce phénomène sociologique est si discriminant qu’il est à l’origine de la publication d’un bouquin rigolo : « Mon petit guide pour courir toute seule, comme une grande ! ». Bref, après le footing en famille puis avec les potes, le jogging en solitaire constitue une étape éducationnelle incontournable sur la route du sport pour la vie entière !
Faut-il éviter qu’il réussisse ?
Encourager, stimuler … et votre enfant devient peu à peu un compétiteur ! Il ne manquerait plus qu’il gagne ! Il ne manquerait plus que vous rêviez qu’il accède au haut-niveau ! Ce podium qui vous a tant manqué quand vous étiez jeune ! Alors, votre bambin fait des efforts, il s’entraîne dur … parce qu’il aime ça mais surtout parce qu’il vous aime ! Il progresse, vous êtes de plus en plus fier ! Certains psychologues du sport un peu violents parlent de « réussite par procuration » ! Peu à peu, votre enfant se fatigue de ces séances trop fréquentes, trop dures, il sature de ces compétitions qui lui dévorent tous ces week-ends ! Les études commencent à être difficiles, il faut qu’il révise ! Et puis, il sent qu’il doit se reposer ! Il souhaiterait même voir ses amis … Et, un jour, il entend raisonner dans sa tête la chanson de Françoise Hardy : « Tous les garçons et les filles de mon âge se promènent dans la rue deux par deux ! ». C’est alors que votre adolescent, « adulte qui naît » étymologiquement, craque et revendique son autonomie ! Il arrête le sport et suit son propre chemin ! Dans les cabinets de médecine du sport, on constate que ces schémas mènent parfois au dégout du sport et font souvent basculer vers une sédentarité réactionnelle ! Souvent provisoire, parfois définitive !
ATTENTION, LE HAUT NIVEAU MENE PARFOIS A LA SEDENTARITE
Prudence ! Accompagnez votre loupiot compétiteur, ne surinvestissez pas à sa place ! il a même le droit de ne jamais gagner ! La frustration face à l’absence de victoire peut même être considérer comme un point de passage crucial, indispensable pour continuer à pratiquer quelles que soient ses aptitudes !
Diversité vaut mieux que spécificité
La « spécificité » constitue le deuxième écueil de la compétition à bon niveau ! Pour progresser, le dogme éducatif incante qu’il est nécessaire de se consacrer pleinement voire exclusivement à sa discipline de prédilection ! … C’est vraiment dommage à un âge où le cerveau est capable d’acquérir de multiples coordinations !
DIVERSIFIEZ LES APPRENTISSAGES POUR SE FAIRE PLAISIR TOUTE LA VIE
La « diversité » des pratiques chez l’enfant est un placement sur le long terme ! Si votre enfant sait nager le crawl, faire du roller, du VTT, du ski de piste, du ski de fond, du surf, de la planche à voile, du tennis, du squash, du base-ball, du cheval, du golf et que sais-je encore … il n’aura que l’embarras du choix pour continuer toute sa vie ! Cet éventail d’activité lui permettra de varier les plaisirs et de rester toujours motivé ! Et plus encore ! Avec ces différentes activités, il multipliera les bénéfices pour sa santé et réduira les risques de surmenage ! Il accèdera spontanément aux vertus de l’entraînement croisé !
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