Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport
Gustave a 57 ans. Je le connais depuis 15 ans. Je m’occupe de toute sa petite famille. Il vient me voir rarement car il est professionnellement très occupé. Cependant, quand il passe en consultation pour un bobo sans gravité, c’est toujours un plaisir que d’échanger avec cet homme sympathique et convivial. Gustave n’est pas un grand sportif mais il s’efforce de conserver une activité physique régulière : il pédale, trottine et manipule la raquette presque chaque semaine.
Quand je découvre Gustave en salle d’attente … je me souviens soudainement qu’il m’avait laissé un SMS du genre : « Connaissez-vous un bon chirurgien pour le genou ? ». Sa question ne pouvait être traitée immédiatement ! Il aurait fallu connaitre le diagnostic exact et même discuter de l’indication chirurgicale. Bref, la réflexion fut reportée puis engloutie en 24 heures sous une bonne centaine de messages en provenance de ma boite vocale, de WhatsApp ou de Messenger sans oublier Outlook ! Impossible à gérer à moins d’arrêter mon métier qui consiste à chouchouter des patients qui ont pris rendez-vous il y a plusieurs semaines et me regardent dans les yeux tout au long de la journée !
Je l’accueille chaleureusement. Je prends des nouvelles puis je lui demande ce qui l’amène … Ni lui, ni moi n’évoquons le SMS … Tous les deux nous savons bien que « trop de messages font disparaître les messages » ! Il me parle de son genou, je l’interroge de façon rigoureuse et je l’examine consciencieusement …. Heureusement !
Gustave : Il y a environ un mois, je jouais au tennis avec mon fils de 23 ans. Habituellement, il me ménage un peu mais cette fois il m’a trimbalé de droite à gauche. Et sur un appui et une rotation : crac ! Un bruit étrange dans mon genou et une grosse douleur, ici sur le côté.
Le Doc : Avez-vous tenté de reprendre ?
Gustave : J’ai essayé … mais c’était douloureux ! Sans compter, une sensation bizarre d’accrochage. Et puis très vite, mon genou a gonflé.
Le Doc : Depuis un mois, vous avez mené l’enquête ?
Gustave : Oui, j’ai fait une IRM et j’ai vu un chirurgien. Il y a une lésion du ménisque et il faut m’opérer.
Je regarde les images. Je constate une grosse fissure du ménisque latérale. Cette structure est présente des deux côtés du genou. Il existe un ménisque dans le compartiment interne du genou et un autre dans le compartiment externe. Ils sont en forme de croissant. Ils assurent l’emboitement entre le bas du fémur qui est convexe et le haut du tibia qui est plat. Ils ont pour mission du suivre le glissement du fémur sur le tibia. Ils reculent quand le genou se plie, ils pivotent lorsque l’articulation tourne. Au fil du temps, ils cumulent les petits pincements et s’effilochent. Sans compter qu’un jour, à l’occasion d’un appui vigoureux et mal coordonné, ils se coincent franchement et se cassent !
Le Doc : En effet ! Un des fragments de vote ménisque est venu se luxer en avant de votre genou limite l’extension. Il est resté accroché au reste du ménisque mais il a basculé, on parle de « languette méniscale ». Mais, on ne soigne pas des images, il faut que je vous examine …
Je commence par regarder Gustave marcher. Incontestablement, il boîte. Il ne déroule pas le pas car il a mal et ne parvient pas à étendre complètement le genou. Voilà qui est de mauvais augure ! je lui demande de s’allonger et procède à une analyse exhaustive et programmée de toutes les structures articulaires.
Le Doc : Gustave, je confirme le diagnostic. Vous avez une douleur en regard du ménisque externe. Et surtout, regardez : quand vous êtes couché sur le dos, je n’arrive pas à soulever votre talon du plan du lit alors que c’est possible de l’autre côté. On parle de flessum pour décrire ce subtil défaut d’extension causé par le fragment méniscal.
Gustave : Donc, il faut opérer … ouvrir pour le décoincer et l’enlever ?
Le Doc : Ecoutez, pour vous soulager au quotidien et pour tenter de reprendre un peu d’activité, je vais essayer de le débloquer votre morceau de ménisque à l’aide d’une manœuvre spécifique …
Gustave : Ah ! C’est possible ?
Le Doc : Oui ! Je vous décris la technique pour que vous soyez bien relâché. Regardez, je plie doucement votre genou et j’ouvre le compartiment externe en appuyant sur la face interne de l’articulation. En faisant de la place, la languette rebascule parfois à son emplacement initial. Détendez-vous, à l’issue de cette posture, il faut laisser filer votre en genou en extension pour fixer le fragment. … Et hop, une fois ! deux fois ! trois fois ! Allez, je teste ! Regardez le talon décolle du lit ! L’extension est complète !
Gustave : Ah oui ! Je le sens bien quand je contracte ma cuisse, j’étends totalement ma jambe ! Et je n’ai plus de douleur ! … J’essaye de marcher … C’est bon je peux pousser sur ma jambe sans boiter ! C’est super !
Le Doc : Ravi de vous avoir aidé ! Vous n’êtes plus bloqué mais vous avez toujours la fissure … et le fragment reste probablement instable. Alors, je vous propose de faire rapidement un PRP pour « Plasma Riche en plaquettes ». Le radiologue vous fait une prise de sang, récupère un bon tube, le centrifuge et prélève la hauteur correspondant à vos plaquettes. Ces dernières sont les petites cellules sanguines qui s’agglutinent sur les plaies, bouches les trous et attirent de nouvelles cellules pour refaire un beau tissu. Désormais, on sait les réinjecter sous échographie dans les articulations et même dans les fissures méniscales. Vous ne retrouverez pas un ménisque tout neuf mais probablement une languette suffisamment stable pour vous adonner au vélo, à la course … et pourquoi pas au tennis cool et philosophe … et évitant d’aller chercher les balles impossibles ! Cette stratégie fonctionne avec bon nombre de mes patients ! Mais, si vous récidivez, on ira enlever le petit bout ! En attendant on aura essayé … et ce soir, vous n’avez plus mal et vous marchez normalement !
Gustave : Tout ça me va bien ! C’est un bon projet ! Moins galère que la chirurgie ! … Vous avez bienfait de ne pas répondre à mon sms … dit-il d’un air complice … Rien ne vaut une prise en charge rigoureuse !
Le Doc : Avant les multiples messageries, on appelait ces procédés « vite fait mal fait » des « consultations de couloir » … Et souvent, elles aboutissaient à des erreurs !
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