Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport.
Philippe a 48 ans. Il a fait HEC, il est directeur commercial d’une boite de transport. Il souffre de ses genoux. Je lui ai concocté un programme d’entraînement pour le triathlon de Paris compatible avec l’état de ses articulations. Je le revois pour faire le point et l’interpelle :
« Alors, parvenez-vous a mieux doser votre effort avec votre cardiofréquencemètre ? ».
« J’ai essayé, je l’ai remis dans sa boîte »
« Vous n’avez pas compris mes conseils ?»
« Si, si, au contraire ! Heureusement que je pouvais faire référence aux sensations respiratoires et musculaires que vous m’aviez indiquées ! Mais sincèrement, je ne suis pas parvenu à le faire fonctionner ! Je me suis retrouvé à devoir passer par des préliminaires sans intérêts : des limites inférieures et supérieures, mon poids, ma taille, des mémoires, des courbes… la date de mariage de ma cousine et la surface de ma salle de bain en mètres carrés ! Impossible d’accéder rapidement et simplement… à la fréquence cardiaque ! »
« Parmi mes patients vous êtes nombreux à vous en plaindre et à renoncer ! Vous avez raison ! Médicalement, mieux vaut apprendre à interpréter les chiffres ! L’imprécision est un point clé de la rigueur scientifique ! Pour une même intensité d’exercice, la fréquence cardiaque varie avec la durée de l’effort, la chaleur, l’heure de la journée, l’état de forme, etc. L’adhésion à des concepts informatiques sophistiqués et rigides ne rend pas plus malin, il fige votre aptitude à réfléchir. Désormais, quand on ajoute le GPS, j’ai peur que le poids du bracelet impose à mes patients de courir penchés voir de tourner en rond. Je crains toujours qu’ils finissent avec un lumbago ! Et avec toutes ces informations sur un cadran, mes séniors sont maintenant obligés de s’entraîner avec leurs verres progressifs ! »
« C’est vrai, je veux simplement regarder mon cardiofréquencemètre et me faire une idée du thème de ma séance, mais je ne souhaite pas devenir obsessionnel. Franchement, j’ai déjà du mal à trouver le temps de m’entraîner, ce n’est pas me plonger dans un logiciel superflu et exaspérant. D’autant que les connais les informaticiens, j’ai les même dans ma boîte, ils te rajoutent un feuilleté d’options plus ou moins fiabilisées et complexes en fonction de leurs possibilités techniques ! Je leur dit « Arrêtez de vouloir créer une demande ! Répondez à la demande des clients !… Moi, j’ai rêvé d’un cardiofréquencemètre qui donnerait la fréquence cardiaque… que la fréquence cardiaque !… comme au bon vieux temps… et pour m’équilibrer, promis docteur, je mets ma montre sur mon poignet opposé ! »
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