Vous avez entendu parler de la foulée minimaliste. Mais cette nouvelle technique vous semble inaccessible, sans compter que les promoteurs de cette gestuelle vous paraissent quelque peu extrémistes. A la lumière des analyses biomécaniques et des données récentes en traumatologie du sport, je vous propose un compromis. Essayez de vous en inspirer pour réduire le risque de blessure et optimiser vos performances.
Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport.
Rédacteur en chef de www.docdusprot.com
Courir avec une foulée minimaliste, c’est un peu comme mouliner à vélo. Vous limitez l’avancée à chaque mouvement mais vous augmentez le rythme. De fait, vous réduisez les contraintes mécaniques à l’occasion de chaque « unité de propulsion ». La foulée minimaliste est donc de fréquence élevée et de faible amplitude. Votre membre inférieur se balance environ 90 fois par minute et votre pied qui avance ne va pas au-delà de votre buste, il se pose sur le sol à la verticale de votre centre de gravité. Du coup, à la réception, vous ne subissez plus l’onde de choc orientée vers l’arrière telle que vous assumiez lorsque vous « alliez chercher devant ». Cet impact semblait être toléré grâce à un talon de mousse très épais. Il secouait néanmoins vos articulations et vous ralentissait. De plus, en utilisant la foulée minimaliste, vous atterrissez sur la pointe des pieds. Le mollet participe au freinage de la réception et stocke de l’énergie élastique qu’il restitue au moment de la poussée. La cheville constitue alors un amortisseur et un propulseur supplémentaire.
Des blessés dans tous les camps !
Avec la mode du minimalisme, j’ai vu arriver dans mon cabinet de nouveaux patients. Ils étaient souvent victimes d’un surmenage du « système suroachilloplantaire ». C’est ainsi qu’on appelle l’ensemble des muscles et des tendons qui participent à l’extension de la cheville. Certains souffraient de tendinite d’Achille, d’autres de contracture du mollet quand il ne s’agissait pas de claquage ! Parfois, ils avaient mal à l’avant de la plante du pied, juste en arrière des orteils. On parle de « douleurs sous capitales » car situées sous la tête des métatarsiens, les longues baguettes osseuses reliant la cheville aux orteils. Elles sont provoquées par l’impact de l’avant du pied dans une zone ayant perdue son adaptation par amincissement du coussinet graisseux. J’ai noté aussi quelques cas de douleurs sous le gros orteil, en regard de la zone d’hyperextension. Bien sûr, ces symptômes étaient souvent favorisés par une pratique enthousiaste faisant l’impasse sur la progressivité requise. Mais, il s’agissait aussi de sursollicitations inhérentes à la technique gestuelle notamment chez des quadras et plus. A l’inverse, il est évident qu’une « réception talon en avant » favorise d’autres blessures. Dans ces circonstances, on observe un ébranlement du squelette osseux et on constate parfois la survenue de fractures de fatigue ou de périostites du tibia. Comme ce geste impose également de remonter fortement la pointe de pied, on assiste de temps à autres à une souffrance des muscles releveurs. On parle de « syndrome de loge » pour décrire cet étouffement musculaire provoqué par une prise de volume dans un sac fibreux et rigide.
Premier pas vers une foulée moins traumatisante
En analysant ces informations, on constate que les « effets indésirables » de la foulée minimaliste sont liés à la réception sur la pointe des pieds. De fait, vous pouvez palier à l’onde de choc de la foulée traditionnelle en posant le pied à plat. On parle de foulée médio-pied. Dans ces conditions, votre mollet et votre tendon d’Achille ne sont pas surmenés ! Votre changement de technique n’est que bénéfique. N’allez pas « chercher devant ». Réduisez l’amplitude, augmentez la fréquence. Les plus talentueux d’entre vous sont même invités à « pousser un peu plus fort derrière » afin de préserver une vitesse élevée. Ayez l’impression de réceptionner votre foulée à la verticale, à la manière d’un tampon encreur qui doit rebondir pour enchainer les signatures. Les entraîneurs disent souvent : « il faut que tu es l’impression que le sol brûle ». Gardez vos chaussures habituelles. Ainsi, vous conservez une bonne dispersion de l’onde de choc. Les stakhanovistes du minimalisme s’offusqueront en argumentant que ce gros talon ne vous apprend pas à retrouver les mécanismes d’amortissement ancestraux. Vous utilisez déjà moins votre épaisse semelle, vous êtes plus réactif, vous travaillez un peu plus les muscles de vos pieds : c’est déjà bien ! Surtout, vous diminuez le risque de fracture de fatigue, de périostite et de syndrome de loge sans augmenter celui de tendinite d’Achille ou de claquage du mollet.
Pointe de pied et chaussures spécifiques : à tester !
Quelques semaines plus tard, pourquoi ne pas tester la réception pointe de pied. Basculez insensiblement vers les orteils. Conservez cette gestuelle quelques secondes. Recommencez 5 à 10 minutes plus tard. Au fil de vos sorties, augmentez la durée de la course sur l’avant pied et réduisez le temps de récupération. L’absence de courbatures et de douleurs entre les séances atteste d’une progressivité bien dosée. Essayez aussi des chaussures moins stables et un peu moins amortissantes. Dans ce contexte, j’aime proposer les Nike-free. N’en faites pas une religion. Au début, utilisez-les à l’occasion du retour au calme, après une séance de piste par exemple. Si vous êtes triathlète, trottinez avec cet équipement pour aller à la piscine ou lors d’une courte transition « vélo course ». Par la suite, conservez-les tout au long de votre entraînement en « récupération active ». Pendant une trentaine de minutes, votre système cardiovasculaire amène du sang bien oxygéné à vos masses musculaires qui se contractent à faible intensité. Vous prenez juste soin de rester tonique sur vos appuis avant pied. Au-delà du concept de « décrassage », vous renforcez vos muscles plantaires et stabilisateurs de cheville. Bien sûr, au cours de cette séance, ne mettez pas vos semelles correctrices concoctées par votre podologue. En réalisant régulièrement cette « musculation profonde du pied », vous serez gagnant lorsque vous enfilerez vos chaussures traditionnelles. Vous vous effondrerez moins en déroulant votre foulée, vos articulations vrilleront moins. Après quelques mois, peut-être pourrez-vous enlever vos semelles de corrections qui encombrent vos running habituelles depuis plusieurs années. Une pratique mixte peut fort bien se concevoir : chaussures amortissantes avec appui médio-pied pour les distances longues à allures lentes ; chaussures souples et peu amortissantes associées à une attaque avant pied pour les courses plus courtes et plus rapides. Si vous êtes à la fois coureur et triathlète, cette méthode est faite pour vous ! Pour vos « semi » et vos marathons, optez pour les premières. A l’occasion de vos triples efforts, courez vos 5 à 10 kilomètres avec les secondes. Ces dernières peuvent éventuellement être choisies parmi les « modèles compétitions » dont les semelles sont plus fines. Au fil des mois, il est souvent possible de passer en appui avant-pied sur les distances plus longues. Pour limiter les lésions inhérentes à cette technique, osez le couple « pointe de pied / semelle épaisse ». Les HOKA, emblème du maximalisme, s’y prêtent bien. Elles sont appréciées des séniors dans cette indication. L’amortissement maximum réduit les douleurs sur les points de pressions situées sous la tête des métatarsiens. La portion antérieure convexe assure un déroulé sans hyperextension agressive des orteils.
ET SI C’ETAIT GENETIQUE ?
Votre aptitude à devenir minimaliste dépend peut-être de vos parents. Vous serez plus à l’aise sur la pointe des pieds si vos muscles restituent plus aisément l’énergie accumulée lors de la réception. Au sein des fibres musculaires, il existe une protéine à effet « ressort ». Elle porte le nom d’ACTN3 et son gène s’appelle R. L’absence de gène s’intitule X. Ainsi, selon le patrimoine de votre père et de votre mère, vous pouvez être RR, RX ou XX. Les premiers sont doués pour le sprint, les derniers sont meilleurs en endurance. Les seconds s’adaptent bien aux pratiques mixtes, typiquement le foot ou le rugby où on enchaîne les accélérations pendant longtemps. Il est fort à parier que le minimaliste s’inscrive dans cette catégorie, le R assurant la réactivité des appuis au sein des fibres rapides et le X permettant de prolonger le travail grâce aux fibres lentes. De surcroît, la qualité du collagène constitue également un facteur limitant. Il s’agit d’une protéine constitutive des tendons et des enveloppes musculaires. Si vous êtes porteur d’une forme fragile, il est probable que votre appareil locomoteur tolère mal la propulsion minimaliste. Désormais, certains laboratoires vous proposent l’analyse de ces paramètres. Cette prestation peut vous aider à adapter votre entraînement et à évaluer votre potentiel. Néanmoins, sachez que la performance physique dépend d’au moins 250 gènes ! Certains peuvent être inhibés et d’autres surexprimés en fonction de votre entraînement, de votre mode de vie et de votre environnement ! La magie du sport existera toujours !
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