Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport
Etienne a 36 ans. C’est un coureur talentueux grand, mince et rapide. Depuis qu’il s’entraîne assidûment, il enchaîne les podiums sur route et en trail. Aucune distance ne lui fait peur. Il est en compet tous les week-ends sur 10 km et jusqu’à l’Ultra ! Et à chaque fois, il se donne à fond ! Je me mets à sa place, ses succès doivent être grisants ! Pourtant, au cours de nos échanges réguliers autour des petites blessures qui rythme sa surenchère, je prends soin de l’informer !
Le Doc : Etienne, je t’invite à rester prudent. Ton appareil locomoteur se comporte comme un fusible et un avertisseur ! Ta progression impressionnante ne pourra pas rester linéaire trop longtemps. Tu vas finir par régresser. Tu vas glisser sur les pentes du surentraînement. Je pense que tu devrais te fixer un gros objectif et considérer les autres compétitions comme des épreuves préparatoires … Comme un cycliste professionnel intègre un Giro en sous-régime à son programme destiné au tour de France …
Qu’importe la machine d’Etienne s’emballe ! Après cette année exceptionnelle, il décide de poursuivre sur sa lancée et enchaîne avec le marathon des sables ! Je le suis sur les réseaux ! Il cartonne encore ! Victoire par équipe ! Top Ten en individuel ! Au retour, il prend rendez-vous avec moi en vidéo consultation.
Le Doc : D’abord Etienne ! Bravo ! La classe ! Comment va ta récup ?
Etienne : Attends, je vais te raconter l’envers du décor ! J’en ai chié comme un fou ! La première étape, nickelle. J’avais la pêche ! A partir de la seconde, se fut beaucoup plus dur ! Je me suis mis à gonfler de partout, les mains et les pieds surtout ! Au niveau du ventre et des poumons, je me sentais empâté aussi ! J’étais essoufflé ! Les médecins m’ont demandé de prendre des pastilles de sel … Rien n’y a fait ! Je gonflais de plus et plus ! Je suspecte même cette stratégie d’avoir aggravé la situation. Je suis parti à 63 kilos, j’ai terminé à 67 !
Je reste quelques secondes sidéré par le tableau clinique particulièrement atypique … Puis, ne voyant que son visage sur l’écran, je me remémore la morphologie de mon « kényan blanc » maigre et affuté … Alors, j’enchaîne !
Le Doc : Ecoute, je crois que le sel n’est pas à l’origine de ton problème. Les insuffisants cardiaques et rénaux ne parviennent pas à pisser le sel et se mettent à gonfler. Ce n’est vraiment pas ton cas ! Avec quel taux de masse grasse es-tu parti ?
Etienne : J’étais affûté ! Environ 6%.
Le Doc : Tu sais qu’à ce niveau, on parle d’adiposité structurale. C’est la graisse qui soutient ta peau et qui entoure tes organes pour les protéger ! Tu n’avais donc aucune réserve de graisse ! C’est loin d’être idéal pour un ultra à étapes et en autonomie … Qu’avais tu pris dans ton sac à dos ?
Etienne : J’avais 14 000 kilocalories avec beaucoup de féculents.
Le Doc : 14 000 ! Tu sais que les cyclistes du tour de France en ingèrent 6000 par jour ! Grosso modo, tu disposais de 2 jours de réserve pour une semaine de course !
Etienne : C’est ça ! Ma Garmin mentionne une dépense énergétique globale de 40 0000 kilocalories. Je n’y croyais pas mais c’est tout à fait l’ordre de grandeur …
Le Doc : Ouah ! Aucun stock de graisse, pas assez de glucides, tu as bouffé tes muscles ! Ton corps est allé détruire les protéines de tes fibres musculaires. Elles ont été coupées en acides aminés. Ces derniers ont été transformés en glucose grâce au métabolisme hépatique afin d’être brûlés par tes muscles. Ce processus porte le nom de « néoglucogenèse par protéolyse ». Même tes protéines sanguines, notamment l’albumine, ont été captées par le foie pour devenir du sucre. Il fallait à tout prix entretenir le brasier de l’effort ! Normalement, ces molécules sont trop grosses pour quitter les vaisseaux sanguins. Elles ont pour mission d’attirer l’eau en provenance du milieu extracellulaire. On parle de « pression oncotique » pour décrire ce phénomène d’osmose à sens unique. Au cours de ton marathon des sables, ce phénomène a quasiment disparu ! Tes tissus périphériques ont gonflé ! Ton étonnante prise de poids était constituée d’eau ! Et, tu as raison, l’excès de sel dans le milieu interstitiel a probablement aggravé le phénomène ! Tu as fait l’équivalent d’un kwashiorkor, une maladie liée aux famines gravissimes. Les enfants tout maigres aux ventres volumineux et pleins d’œdème ont longtemps illustrés les demandes de dons à destination des associations contre la faim dans le monde !
Etienne : Mais que dois-je faire ?
Le Doc : Te reposer … et manger goulûment ! Particulièrement des protéines : du sanglier aux airelles, du gigot de mouton flageolets, du saumon sauvage à l’estragon 😊 … Fais toi plaisir ! Reconstruit tes muscles, renouvelle tes réserves de graisses ! On va faire une prise de sang complète pour peaufiner note stratégie de récupération ! Surtout, je crois qu’il est impératif que tu tires les leçons de cette mésaventure notamment si tu souhaites renouveler ton expérience ! On ne part pas sur de gros trails à étapes en autonomie affûté comme tu l’étais ! Je te suggère de te caler sur 10 voire 12% de masse grasse car tu ne pourras pas compenser toute ta dépense énergétique avec le contenu de ton sac à dos ! Je t’invite à partir avec plus de muscles. Il faut que tu programme du renfo … des squats, des fentes, de la musculation en salle, du stepper, de l’escalator, du tapis en pente … pour ne pas casser de fibres en descente ! Bien sûr tu peux courir en côtes dans la nature … et rebrousser chemin tranquillement. Evidemment, je te conseille de faire du vélo en passant souvent en danseuse sur gros braquets ! Quant à ton ravitaillement, oublie le tout glucide ! A intensité modérée, des jours durant, tu as besoin particulièrement besoin de lipides et de protides ! Tu en trouveras beaucoup dans les oléagineux salés. Ils sont légers par rapport aux calories contenus ! Tu peux opter pour de la Whey. Cette poudre de protéines déshydratées t’aidera à ne pas perdre trop de muscle. Voilà quelques astuces pour garder la forme et préserver ta santé au fil des kilomètres …
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