Par le Docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport et rédacteur en chef de www.docdusport.com
Patrick a 64 ans. Il fait un peu de trail et pratique la randonnée avec passion. Il vient me voir car il présente une douleur à l’arrière de la cheville.
Le Doc : Patrick ! Alors racontez-moi !
Patrick : J’ai une tendinite d’Achille depuis plusieurs semaines. J’ai mal dès que je marche plus de 30 minutes, surtout dans les côtes. J’ai fait de la rééducation avec des MTP, ces massages qui frottent douloureusement le tendon pour l’assouplir.
MASSAGES, ÉTIREMENTS, FREINAGE SANS EFFET !
On a pratiqué des étirements et du travail de freinage. Le kiné m’a dit qu’il s’agissait de la méthode de Stanish. Malgré une quinzaine de séances je souffre toujours … peut-être même plus qu’avant ! Alors, mon généraliste m’a prescrit une IRM, je vous l’ai amenée …
Le Doc : Oui excellente idée ! Toutes les douleurs à l’arrière de la cheville ne sont pas des tendinite d’Achille. Les médecins parlent de « diagnostics différentiels ». Montrez-moi les images …
Patrick : En effet, le compte rendu parle surtout de bursite …
Le Doc : Peu de temps avant la survenue de vos douleurs avez-vous changé quelques choses : augmentation du kilométrages ? Plus de relief ? … changement de chaussures ?
Patrick : C’est vrai ! Je me suis offert une belle paire de trekking en cuir. Et, maintenant que vous m’y faites penser, j’ai constaté que le contrefort était un peu rigide.
Le Doc : Je crois que nous sommes sur la piste. Votre IRM montre un tendon correct. Elle met surtout en évidence une poche de glissement irritée entre ce dernier et le relief osseux de l’os du talon, la calcanéum. C’est ce que votre radiologue nomme « bursite » pour « bourse inflammée ». Cette structure existe naturellement et contient un peu de liquide lubrifiant biologique : l’acide hyaluronique.
BURSITE : UNE POCHE D’INFLAMMATION ENTRE LE TENDON ET L’OS DU TALON
Chez vous, elle est gonflée. Le liquide sécrétée abondamment et en urgence est constitué de trop petites molécules qui roulent, glissent et amortissent beaucoup moins bien la substance habituelle. On y trouve aussi des globules blancs qui sont là pour nettoyer les débris issus des frottements et sécrètent des molécules de l’inflammation responsables de la douleur.
Patrick : Le radiologie mentionne aussi une maladie de Haglund … Qu’est-ce que c’est ?
Le Doc : Le docteur Haglund a décrit une protubérance osseuse un peu massive et pointue, à l’arrière de l’os du talon. Elle vient frotter sur l’avant du tendon et provoque des bursites. Parfois, elle rappe un peu les fibres tendineuses … mais chez vous ce problème est minime.
MALADIE DE HAGLUND : UN BEC OSSEUX SUR LE TALON QUI VIENT FROTTER SUR LE TENDON
Et votre Achille n’est pas abîmé. C’est vraiment votre bursite qui vous fait mal. Votre examen clinique confirme cette notion essentielle. Quand je palpe votre tendon, il est bien régulier. Lorsque je le pince, vous n’avez pas de douleur. En revanche, vous avez très mal à la pression juste en avant, en regard de l’os, à l’endroit de la bursite.
Patrick : Et la rééducation n’a pas pu me soulager ?
Le Doc : Dans ce contexte diagnostic, les techniques que vous me décrivez se montrent plutôt délétères. Il n’y pas de cicatrice tendineuse ni à masser ni à assouplir. Au contraire, les frictions des MTP reproduisent quasiment le mécanisme traumatique et augmentent l’inflammation ! Quant aux étirements ce n’est pas mieux !
RÉEDUCATION DE LA TENDINITE : INADAPTÉE POUR LA BURSITE SUR HAGLUND
Quand vous descendez le talon, le relief osseux du calcanéum vient embrocher l’avant du talon, aggrave le conflit et augmente la bursite. La maladie de Haglund est une contre-indication aux étirements du tendon d’Achille ! Vous comprenez qu’un diagnostic précis soit indispensable pour enclencher une stratégie thérapeutique cohérente !
Patrick : Alors, comment faut-il me soigner ? … Je voudrais bien crapahuter au mois d’aout dans les Alpes !
Le Doc : Nous allons prendre en charge la spécificité de votre blessure ainsi que sa cause. La conséquence de vos microtraumatismes est l’emballement du processus inflammatoire : plus ça frotte plus ça gonfle … et plus ça gonfle plus ça frotte. Il faut sécher la bursite à l’aide d’un antiinflammatoire local, bien placé. En clair, il faut faire une infiltration ! Attention pas dans le tendon … mais juste en avant, dans la bursite ! Le geste est pratiqué avec précision sous échographie.
INFILTRATION DANS LA BURSITE, PAS DANS LE TENDON !
Pas de risque de fragilisation tendineuse, au contraire l’agression biologique des fibres va s’apaiser. Par sécurité, on ne fait pas de marche prolongée pendant une dizaine de jour. En revanche, vous pouvez pédaler à J2. A vélo, le tendon d’Achille n’est pas étiré et le talon reste relevé. Sans compter qu’en moulinant tranquille, la contrainte est très inférieure au poids de corps. Alors gardez la forme en pédalant !
Patrick : Et ça marche bien ?
Le Doc : Dans l’immense majorité des cas, l’infiltration de corticoïdes règle complètement le problème. En cas de petite gène résiduelle, on renouvelle l’injection mais on dépose un produit lubrifiant biologique en zone de frottement.
INJECTION VISCEUSE POUR LUBRIFIER
Il s’agit d’un acide hyaluronique à haute performance mécanique qui reproduit les qualités de la bourse naturelle.
Patrick : Et pour éviter que ça recommence ?
Le Doc : Cette fois, il faut s’occuper de la cause. Vous aviez votre Haglund depuis toujours. Vous avez décompensé votre particularité morphologique avec le contrefort de vos nouvelles chaussures trop rigides. Votre tendon et sa poche de glissement ont été pris en pince entre la tige de la chaussure et le bec osseux du calcanéum. Vos tissus n’ont pas apprécié !
CHAUSSURES CONFORTABLES AVEC CONTREFORT SOUPLE ET MOLLETONNÉ
Je vous invite à renoncer à cette paire de chaussures ! Elle ne vous convient pas ! Idéalement, reprenez la version récente de votre ancien modèle. Avec vos chaussures neuves si vous présentez la moindre érosion cutanée, je vous conseille de taper allègrement sur le contrefort pour l’assouplir. Parfois, je m’oppose au pli que se constitue en tordant la tige en sens inverse avec un serre-joint pendant quelques jours ! De la crème anti-frottement complète avantageusement ce dispositif …
Patrick : Et mon Haglund ? On en fait quoi ?
Le Doc : Pas grand-chose ! Vous avez marché en montagne des années avec cette particularité anatomique. Elle ne constitue qu’un facteur favorisant de votre blessure. La cause reste votre chaussage rigide et conflictuel. En prévention dite « secondaire », je vous propose juste une talonnette.
TALONNETTE POUR ÉLOIGNER LE BEC OSSEUX
En remontant votre calcanéum, elle éloigne le bec osseux de la face antérieure du tendon. Evitez de trop écraser les talons dans les côtes, restez bien tonique sur vos appuis. Et, comme toujours, pour réduire les contraintes sur les membres inférieurs, utilisez des bâtons ! Avec ce traitement médical et ces conseils sportifs, je suis convaincus que vous prendrez bientôt plaisir à sillonner les GR Alpins.
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