ATTENTION ADDICTION !
- secretariatdocteur4
- 7 avr.
- 9 min de lecture
Etes-vous un drogué du sport ? Que se passe-t-il dans votre cerveau ? Quels en sont les dangers ? Comment prévenir et soigner cette dépendance ? Comment faire pour que votre sport ne soit pas une « addiction toxique » mais seulement une « bonne habitude » ?
Par le Docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport.
L’addiction au sport porte aussi le nom de « bigorexie ». Il s’agit d’un néologisme récent. Ainsi son étymologie est à la fois anglosaxonne et grecque. « Big » signifie « gros » et « orexie », « avoir faim de … vouloir absolument … ». Vous comprenez que ce terme nous vient du culturisme. Dans cette discipline, les pratiquants souffrent d’une double dépendance. Premièrement, ils ont un besoin irrépressible d’exercice physique. Deuxièmement, ils cherchent éternellement à devenir de plus en plus volumineux. Depuis peu, cette dernière composante a disparue et ce terme a été étendu à tous les contextes sportifs, notamment à l’endurance. Cette fois, le culte de l’image corporelle peut s’inverser. Les athlètes ne s’orientent plus vers la prise de masse musculaire mais plutôt vers une extrême minceur. Dans les 2 cas, il peut s’agir d’une éternelle insatisfaction face à sa morphologie à rapprocher de la « dysmorphophobie ».

Etes-vous addicte ?
Selon les études et les publications, les critères descriptifs varient quelque peu. Le diagnostic se pose sur un faisceau d’arguments. Retenez que vous êtes probablement addicte au sport, si vous associez plusieurs de ces items.
Je me sens mieux après le sport
J’ai besoin d’en faire de plus en plus pour ressentir du bien être
Je me sens mal ou je culpabilise quand je rate une séance
Ces trois premiers critères sont conformes à la définition d’une dépendance à une substance chimique, qu’il s’agisse d’alcool, de médicaments ou de drogue. En l’absence du produit un douloureux syndrome de manque se fait sentir. Son administration soulage l’individu. Mais, il faut peu à peu augmenter les doses pour obtenir les mêmes effets.
Avant l’entraînement, je me sens tendu ! Après je me sens apaisé !
Cette composante est à rapprocher des addictions comportementales. On pense à la dépendance aux jeux, à internet, aux achats compulsifs et au sexe. Retenez que la notion d’addiction est indissociable de la souffrance ! Le moindre arrêt de l’entraînement instaure un mal être !
Je continue malgré la fatigue, la maladie ou la blessure
Je m’entraine par tous les temps
L’addiction au sport ne favorise pas la performance. Au contraire, elle fait le lit du surentraînement. La sensation de fatigue est prise pour un signe de faiblesse dans un contexte d’insuffisance de sollicitation. En réaction, au lieu de se reposer, le sportif intensifie son programme. Ce surmenage épuise sont système immunitaire et provoque des infections. La multiplication des contraintes mécaniques est à l’origine de lésions de l’appareil locomoteur.
Mon sport est à l’origine de tensions avec ma famille, mes amis ou mon employeur.
La vie du sportif dépendant tourne autour de son activité physique. Clairement, il donne la priorité à ses entraînements. Ces derniers empiètent sur ses heures de travail et il somnole au bureau ! Il ne peut pas annuler une séance pour se rendre chez des amis. Il quitte souvent la maison pour aller courir, pédaler, nager ou soulever de la fonte !
Je suis au régime pour améliorer mes performances
L’addiction au sport s’associe souvent à des troubles du comportement alimentaire. Parfois, c’est une classique anorexie. Ainsi, certains athlètes d’endurance cherchent-ils à perdre un maximum de poids pour tenter d’optimiser leurs chronos au dépens de leur santé. Plus souvent, il s’agit d’orthorexie. « Ortho » signifie « droit » en grec. De fait, ce concept regroupe des conduites nutritionnelles extrêmement rigoureuses voir obsessionnelles. Dans cette catégorie, on trouve les dévoreurs de nouilles avalant des pâtes à chaque repas jusqu’à l’orgie des «Pasta Parties» la veille des compétitions. On y rencontre aussi les body builders engloutissant un maximum de protéines que ce soit sous forme de viande maigre ou de poudre artificielle. Enfin, certains végétariens ou végétaliens ne s’autorisent aucun écart et complexifient leur équilibre alimentaire.
Je suis passionné par un sport d’endurance individuel, à la gestuelle répétitive.
Bien sûr, la course, le vélo et la natation sont les disciplines les plus addictogènes. Ces activités sont peu ludiques et les pratiquants y recherchent autre chose qu’un divertissement. Le tennis ou le football entrainent moins de dépendance. D’ailleurs on dit « jouer au tennis » et « faire du marathon » … mais pas « jouer au Marathon » ! Selon claire Carrier, célèbre psychiatre du sport, le mouvement rythmé de ces exercices rappelle les sensations rassurantes du bébé bercé par sa maman. A la piscine, l’eau pourrait même ramener le sportif anxieux jusque dans l’utérus maternel.
Les individus basculant vers l’addiction sportive regroupent souvent quelques traits de personnalité. Il existe probablement une sensibilité génétique. Le sportif dépendant est fréquemment anxieux. Il a besoin d’un programme chargé pour ne pas penser … il lui faut combler le vide. De fait, il est hyperactif et peut cumuler les pratiques addictives : exercice physique, travail, investissement associatif ou politique. Il a besoin de maitrise. Il est très organisé, il range méthodiquement son appartement et son bureau. Il est plutôt timide et introverti. Il contrôle ses réactions affectives et maîtrise ses colères. Il est exigeant avec les autres et surtout avec lui-même.
Que se passe-t-il dans le cerveau ?
Il existe une biologie de la dépendance sportive. La plus couramment admise concerne les endorphines. Ce terme signifie « morphine endogène », ce qui se traduit par « héroïne sécrétée par notre propre cerveau ». Ce processus a été sélectionné par notre évolution. Quand l’Homme du paléolithique rencontrait un ours, il vivait un stress et devait impérativement fuir ou combattre ! A la préhistoire comme actuellement, lors d’un effort intense, le cerveau produit des messagers chimiques favorisant la vigilance, stimulant l’adaptation et réduisant la douleur. C’est ainsi que notre ancêtre chasseur a pu résister aux coups de griffes et détaler en courant dans les ronciers. Il n’a pas été terrassé par la souffrance, il a survécu et sa descendance peut courir 42 kilomètres en y prenant du plaisir ! Pour votre culture personnelle, sachez que la « proopiomélanocortine » est sécrétée par l’hypophyse, une glande située à la base du cerveau. Elle se fragmente en ACTH et endorphine. La première substance stimule la libération du cortisol, une hormone du stress et de l’effort prolongé qui favorise la transformation des protéines musculaires en glucose. De fait, elle intervient quand le corps fatigue et que les réserves de sucre commencent à s’épuiser !
LE BIEN ETRE PRECEDE LA DEFAILLANCE
Vous comprenez pourquoi les endorphines apparaissent seulement quand l’effort devient pénible. Classiquement, on dit que « le bien être précède la déffaillance ». Vous comprenez aussi pourquoi s’entrainer régulièrement et progresser impose des sollicitations de plus en plus longues ou intenses pour ressentir ce même bien être. Des études récentes émettent l’hypothèse d’une production cérébrale de substances proches du cannabis. On parle cette fois d’endocannabinoïdes. Les neuromédiateurs de la stimulation sont eux aussi source d’agréables sensations. La dopamine et les catécholamines (adrénaline, noradrénaline) sont produites par le cerveau pendant l’effort. Elles ont pour mission de libérer les réserves de sucres et de gras. Elles servent aussi à accélérer le cœur pour amener plus de sang oxygéné aux muscles en action. Elles permettent aussi d’accroître la vigilance. Elles éveillent le système nerveux. Le sportif se sent tonic et il a la pêche ! Cette famille de molécule est également très addictogène. Une première comparaison peut être faite avec la caféine dont le mode d’action est comparable à celui de la dopamine au sein des cellules cérébrales. Ainsi, vous avez besoin de courir pour vous sentir en forme comme votre café vous est nécessaire pour émerger le matin. Un second parallèle s’impose. La cocaïne augmente la concentration de dopamine dans les neurones, particulièrement au sein du noyau accumbens, le centre de la récompense.
Une dépendance psychologique
Le sportif addicte prend du plaisir à maitriser son programme. Sa journée est bien organisée. Il s’entraîne quand les autres dorment ou regardent des banalités à la télévision. Il court souvent le matin, il aime quand campagne est calme, il adore lorsque la ville se réveille doucement. Le monde lui appartient. Son alimentation est équilibrée et planifiée. Son corps bénéficie de tous les nutriments nécessaires. Il est mince et son poids stable. Il est musclé et son corps est sculpté. Il se sent bien plus fort que ces rondouillards qui craquent en avalant des chips et des sodas. Le sportif est satisfait et rassuré par son image. On parle de « motivation extrinsèque » pour décrire ces bénéfices indirects. A l’inverse, le simple plaisir de bouger porte le nom de « motivation intrinsèque ». Dans son entreprise, il est considéré comme un athlète dont le dynamisme se décline aussi dans ses missions professionnelles. Il y a 15 ans, il était déjà marathonien.
IMAGE CORPORELLE ET IMAGE SOCIALE PARTICIPE A LA DEPENDANCE
Depuis cette épreuve s’est banalisée. Alors, il a dû surenchérir ! Désormais, pour rester le plus fort de l’open space, il est devenu ultra trailer et il court 180 kilomètres dans la montagne ! L’exercice évitent l’anxiété. Son agenda est déjà chargé et ses entraînements terminent de combler le moindre trou de sa vie. Il n’a pas le temps pour les questions métaphysiques. Le sportif vit de grandes émotions addictogènes. Il se souvient de son arrivée au triathlon de Nice, sur la promenade des anglais, baigné d’endorphines après 12 heures d’effort, sous les clameurs de public, main dans la main avec sa fille de 6 ans. A l’Ultra trail du Mont Blanc, il se rappelle de ce lever de soleil alors qu’il dominait la vallée. En communion avec la nature, il avait l’impression de voler en dévalant la pente.
Attention danger !
La dépendance au sport peut se révéler dangereuse pour la santé. Alors que le « noyau accumbens » réclame toujours plus de récompense, le cerveau souffre et le corps s’épuisent. Le sportif bascule dans le surentraînement. Les performances déclinent rapidement. Les troubles de l’appétit surviennent, oscillant entre anorexie et boulimie. Le sommeil s’altère, parfois hypersomnie, plus souvent insomnie. Déjà que notre athlète dormait peu pour s’entraîner à l’aube, cette fois, il ne parvient plus à récupérer. Il devient anxieux, des douleurs atypiques apparaissent et des contractures musculaires s’installent. Le surentraînement ressemble étrangement au « burn-out » professionnel ou à la dépression. Notre sportif, perfectionniste aussi dans son travail, cumulent les risques. Par chance, il peut se blesser ! L’appareil locomoteur sert alors de fusible … et d’avertisseur ! Il tente un moment de continuer malgré la lésion mais, de plus en plus boiteux, il finit par s’arrêter ! Claire Carrier évoque souvent ce mécanisme inconscient menant le sportif au traumatisme. Exténué, il sait qu’il doit se reposer ! Il attend une bonne raison !
MECANISMES BIOLOGIQUES VOISINS DE LA TOXICOMANIE
ENDORPHINE ET HEROINE
ADRENALINE ET AMPHETAMINE
DOPAMINE ET COCAINE
C’est alors que survient le « syndrome de sevrage ». L’anxiété jusqu’alors jugulée refait surface et s’intensifie. L’angoisse s’exprime dans le corps et les symptômes sont multiples. Le tube digestif se spasme. Le cœur s’emballe. Les muscles se tendent. L’appétit devient anarchique et le sommeil se dégrade encore. La prudence s’impose aussi sur le plan familial. Si le conjoint est initialement le meilleur supporter, il peut se lasser de cet hyper investissement et de cette surenchère. Le manque de disponibilité et les préoccupations nombrilistes ont parfois raison des plus fidèles soutiens. Parfois, le temps passé à l’entraînement empiète sur l’activité professionnelle. De temps à autre, la fatigue cumulée rend moins efficace. Le travail du sportif peut aussi souffrir de l’addiction au sport.
Une addiction contre les addictions
Le sport a démontré son efficacité pour aider au sevrage de bon nombre d’addictions. Cette activité aide à décrocher du tabac, de l’alcool et de la drogue. La démarche fonctionne bien car les réseaux de neurones utilisés sont très voisins. Dopamine et morphine viennent stimuler le noyau accumbens, le centre de la récompense. William Lowenstein, médecin addictologue, a réalisé une étude. Il y met en évidence que 20% des toxicomanes ont pratiqué le sport à haut niveau. De surcroît, il existe probablement un profil génétique et un parcours de vie favorisant les dépendances. De fait, on constate que ceux qui arrêtent de fumer ou de boire grâce au sport … en font rapidement de façon déraisonnable !
Prévention et traitement
Il existe des stratégies efficaces pour que le sport reste une bonne habitude et non pas une douloureuse dépendances. Ces consignes peuvent s’appliquer simultanément pour éviter l’addiction. Pour en sortir, il est recommandé de les introduire une à une. De surcroît, ces recommandations évitent le surentraînement, améliore la récupération et augmente les performances. Voilà de quoi booster l’envie de décrocher ! L’avis d’un psychothérapeute peut aussi aider à personnaliser la prise en charge. Ainsi la compréhension des causes de cet emballement contribue à individualiser la démarche thérapeutique. Une journée de repos est indispensable chaque semaine. J’aime parler de la « séance … de cinéma ». Ce moment est consacré soit à une distraction, soit à un échange familial ou amical. Prenez le temps de petit déjeuner avec les enfants ou bien allez diner au restaurant avec des amis. Un entraînement par semaine doit s’achever par une petite sensation de légère frustration. La sortie est « ni longue ni intense ». Elle n’est pas difficile, vous ne faites pas d’endorphine. Vous n’accédez pas à cette habituelle sensation de zénitude mais vous terminez alors que vous en avez encore sous le pied ! Vous avez réalisé une vraie séance de récupération active ; vos muscles se sont drainés et oxygénés abondamment alors que leur travail était modéré. De temps à autre, changez de sport : les coureurs peuvent pédaler ou nager, les triathlètes peuvent fractionner en faisant un squash ou un tennis. Attention aux blessures à l’occasion d’un foot entre copains !
JOURNEES DE REPOS
INSTANTS PRESENTS FAMILIAUX ET AMICAUX
MEDITATION RELAXATION
Changez souvent de parcours afin de prévenir les rituels et les incessantes comparaisons chronométriques. Transformez fréquemment vos sorties en balades touristiques, partez visiter des coins que vous ne connaissez pas. Pour trouver l’apaisement sans fournir d’effort surhumain, essayez la méditation. Optez pour « petit bambou », une appli clé en main. Choisissez un beau livre accompagné d’un CD : « Méditer jour après jour » de Christophe André. Multipliez les petits plaisirs, Variez les sources d’endorphine. Programmez un bon dîner ou un câlin sensuel. Une fois par semaine, octroyez-vous un repas sans aucune restriction. Les anglosaxons parlent de « cheat meal » ou « repas tricheur » pour décrire cette stratégie destinée à booster votre dépense d’énergie ! En effet, en cas de limitation permanente des apports caloriques, votre organisme s’adapte et réduit son métabolisme de repos. Chaque année, il est conseillé de couper de toute activité sportive pendant une semaine. En fin de saison, ce comportement permet de réparer les tissus et de refaire le plein d’hormone de la vigilance.
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