Par le Docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport Rédacteur en chef de www.docdusport.com
Sébastien a 42 ans. II pratique la course à pied assidument. Il a coché la case « Marathon » avec un chrono de 3H45. Il a aussi gouté au Trail sur des distances voisines. Il vient me voir pour une tendinite d’Achille. Si la blessure est banale, le recueil des antécédents médicaux authentiques l’est beaucoup moins …
Le Doc : Avez des maladies ? Prenez vous des médicaments ou avez-vous pris un traitement prolongé dans votre vie ?
Sébastien : Non rien de particulier. Ah, si ! En 2020, j’ai fait une phlébite du bras droit et j’ai pris des anticoagulants pendant 3 mois.
Le Doc : Une Phlébite des membres supérieurs ! C’est rarissime ! Avez-vous des antécédents de caillots sanguins dans la famille ? Dans quelles circonstances ce gros pépin est-il survenu ?
Sébastien : Il n’existe aucun cas comparable dans ma famille, même pas dans les jambes. En revanche, ça m’est arrivé pendant le confinement. Je faisais beaucoup de gainage … et j’augmentais régulièrement mon temps de maintien !
LE GAINAGE POURRAIT FAVORISER LES PHLÉBITES DES BRAS, LES HERNIES INGUINALES ET LES TENDINITES D’ÉPAULES.
Le Doc : Vous avez raison ! Le maintien d’une posture prolongée impose une angulation des veines qui ralentit la circulation et provoque des microlésions dans la paroi du vaisseau. Sans compter qu’une contraction continue des muscles écrase le réseau vasculaire dans son ensemble et contribue aussi à la stase sanguine. On comprend ainsi que votre gainage ait pu favoriser la formation d’un caillot de sang au pli du coude !
Sébastien : Du coup, j’ai complètement arrêté !
Le Doc : Vous avez bien fait ! D’autant que je vois pas mal de blessures provoquées par le gainage traditionnel type planche. Récemment, j’ai pris en charge un triathlète qui souffrait depuis pendant ces exercices notamment depuis qu’il en faisait beaucoup. Il était victime d’une déchirure du tendon plat des abdominaux celui qui provient des obliques et du transverse. La situation s’était vite dégradée et il a rapidement présenté une petite hernie inguinale : un sac contenant un bout de tube digestif sortait en haut de son testicule.
Sébastien : Pourtant, je croyais que le gainage renforçait les abdos ?
Le Doc : Oui bien-sûr ! Mais tout est une question de curseur ! Un travail bien dosé est à l’origine d’une sollicitation, source d’adaptation bénéfique. Des contraintes excessives provoquent des lésions ! Mais la planche provoque des blessures à d’autres endroits ! Je vois pas mal de tendinites des épaules notamment chez les femmes longilignes. Ces sportives me disent souvent ; « Avec le gainage, j’en bave plus dans les épaules que dans les abdos ! ».
Sébastien : C’est vrai, même avec mon gabarit, je le constate ! Mais quelle est la cause de ces douleurs ? On sent bien qu’elles ne proviennent pas de masses musculaires …
Le Doc : Quand les muscles du tronc fatiguent, la tête de l’humérus remonte et vient se cogner puis frotter sur les reliefs de l’omoplate. Les petits tendons qui la recouvrent, la coiffe des rotateurs, s’irritent. Parfois une ampoule profonde se constitue. C’est la « bursite ».
Sébastien : Alors ! Que me proposez vous pour faire du gainage ?
Le Doc : Déjà, au-delà des habitudes, il faut se poser la question de son utilité. La réponse scientifique est plutôt positive et répond au concept de chaines musculaires et de points fixes. En effet, pour que les muscles mobilisent les membres efficacement, il faut qu’ils s’accrochent sur des os du tronc parfaitement stabilisés. Il est également impératif que la force des bras soient transmise aux jambes en traversant le buste en diagonale. Pour y parvenir, il est crucial de répondre les exercices de renforcement doivent répondre au principe de spécificité. Cette notion se révèle incontournable à propos de tous les paramètres : postures, angles articulaires, vitesses et bien sûr freinage, accélération ou maintien. L’ouvrage de l’INSEP, « entraînement à la force. Spécificité et planification » le confirme et reprenant toutes les études sur le sujet. En clair, plus le mouvement de renforcement est proche du geste compétitif plus il est utile à la performance. On parle de « transfert » pour décrire ce phénomène.
POUR ÊTRE EFFICACE, LE RENFORCEMENT DOIT RESSEMBLER AU GESTE COMPÉTITIF.
LA SPÉCIFICITÉ EST INDISPENSABLE AU TRANSFERT
Sébastien : Ah oui, je vois le problème ! Contrairement à l’exercice de la planche, on ne court ni immobile ni allongé … Il n’y a sûrement pas beaucoup de « transfert » entre le gainage traditionnel et la course …
Le Doc : Eventuellement sur les gros trails … si vous finissez en rampant 😊 ! En réalité, l’elliptique répond bien mieux à cette spécificité de chaines musculaires croisées traversant le buste dans une posture quasi identique à la course ! Si vous pensez à bien tirer et pousser sur les bras, si vous prenez soin de garder le tronc bien fixe, cet appareil réalise un excellent exercice de gainage spécifique de la course. De surcroît, vous gagnez du temps car vous entraînez simultanément votre cardio. La consommation d’oxygène augmente même de 6% par rapport au running grâce à la sollicitation plus intense des muscles du haut corps. De surcroît, vous pouvez y décliner des fractionnés comparables à ceux que vous pratiquez sur piste d’athlétisme. Il vous est alors possible de faire des séances intenses sans crainte pour votre tendon d’Achille. L’absence de réception évite que votre tendon ne soit écartelé entre le mollet qui freine et la cheville qui fléchit. Vous n’aurez pas de douleur !
Sébastien : C’est une bonne idée ! Je vais un peu plus profiter de mon abonnement à la salle ! Je vais aller faire de l’elliptique ! Mais, si je souhaite opter pour des exercices en extérieur, que peut-on faire ?
ELLIPTIQUE, RANDO BATONS ET GANTS LESTÉS POUR UN VRAI GAINAGE
Le Doc : Pour rester très fonctionnel, avec un excellent transfert, je conseille vraiment la rando course avec bâtons. Dans ces conditions, comme en elliptique, les forces traversent en diagonale un buste gainé ! Alors, pensez aux bâtons, à l’occasion de vos entraînements trail longs et lents. Faites du gainage naturel en milieu naturel ! J’ai même une astuce pour les footing urbains. Mettez des gants lestés de 250 grammes à 1 kilo. On en trouve aisément sur le net. A l’occasion de vos sorties de récupération, profitez-en pour bosser la stabilité du buste en balançant les bras, coude près du corps et omoplate rapprochées. Vous constaterez que cette simple attitude donne de la tonicité à chacun de vos appuis !
Sébastien : Tout ça chahute un peu les dogmes et mes vieilles convictions ! Mais c’est logique et très intéressant ! Je vais essayer ! … Au moins ça m’évitera les phlébites des bras 😊!
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