Depuis 25 ans, entre réanimateur du SAMU et médecin de famille, le docteur Jean Yves Chauve soigne à distance les navigateurs des grandes courses en solitaire. Hommage et découverte !
Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport
Jean-Yves CHAUVE est un passionné, visionnaire et précurseur. Navigateur de compétition lui-même, quand il est à terre, il ne perd pas contact avec la mer, il habite rue du littoral. Depuis son bureau, face à ses écrans, il observe les océans du monde entier et surveille ses protégés. Lors des grandes transats, il reste disponible 24H sur 24 et 7 jours sur 7, un sacerdoce ! Il a créé de toute pièce le concept de « médecine à distance ». Il l’a adapté à l’évolution des moyens de communication. Il a commencé avec les laborieux télex. Il a connu l’avènement du téléphone satellite et il utilise désormais l’image des webcams. Mais quand on lui demande ce qui a changé dans sa pratique médicale en ¼ de siècle, il vous répond en vous parlant de sport ! « Les bateaux filent désormais à 80 km/h. Lorsqu’ils percutent une vague, ils perdent instantanément 30 à 50 km/h. Nous sommes passés de la « bobologie » à « l’accidentologie routière ».
Une bataille navale pour faire le diagnostic !
Malgré la technologie embarquée, l’art du diagnostic doit rester une priorité. Bien que des milliers de kilomètres séparent Jean Yves CHAUVE de ses patients, il doit procéder à un examen rigoureux et un traitement efficace. Il met à la disposition des navigateurs solitaires 2 guides complémentaires : « Consulter un médecin à distance » et « Soigner avec un médecin à distance ». Ils existent en plusieurs langues. Ils regroupent 150 symptômes exprimés de façon claire : on y parle de « mal de tête » et pas de « céphalée ». Le corps est dessiné sur grand damier. Les lignes sont des lettres, et les colonnes des chiffres. Ainsi, pour définir avec précision l’emplacement des symptômes, le marin dit « C8 » comme s’il jouait à la bataille navale… Cette méthode permet de gagner du temps et d’éviter bien des confusions. Lorsque Yann ELIES se brise le fémur, son staff est informé qu’il s’est cassé la jambe et pense à une fracture du tibia. La méthode de Jean Yves CHAUVE permet de corriger le diagnostic et la prise en charge : il faut lutter contre l’hémorragie interne et hâter l’arrivée des secours !
Doc, j’ai le mal de mer !
Le Docteur Jean Yves CHAUVE a mis au point une trousse de secours comptant environ 130 médicaments. On y trouve aussi une centaine de « petits matériels » : attelles, compresses, sparadrap, fil de suture, etc. Vous vous souvenez peut-être de Bertrand de BROK qui s’est recousu la langue devant sa glace ! Bien sûr, chaque mallette est identique. Chacun des produits est placé au même endroit et porte un numéro. Une nouvelle fois, cette organisation permet de gagner du temps et évite bien des erreurs au cours de l’instauration du traitement. Le médecin des plus grands navigateurs a même pris le soin d’y glisser des comprimés contre le mal de mer. Souvent, il retrouve les boites de ces médicaments entamées ! Mais le secret médical lui interdit d’indiquer le nom des utilisateurs… Afin que, les skippers gèrent au mieux leur « médecine à distance », le docteur CHAUVE a instauré 2 jours de formation avant les grandes courses en solitaire. Les habitués bénéficient aussi d’un programme de recyclage.
« Rase toi et range ton bateau »
Jean-Yves CHAUVE est aussi médecin de famille et psychologue. Il est attentif au moral de ses protégés. Au milieu des océans, fatigués et loin des proches, les coups de bluzz menacent. Quand il a commencé à s’occuper des transats, la nutrition des navigateurs tournait beaucoup autour des pilules. Il ne fallait pas perdre du temps à préparer ses repas et on évitait d’alourdir le bateau. Pour que ses protégés préservent leur joie de vivre, il a milité pour les plaisirs de la table. Désormais de savoureux petits plats mijotés… et lyophilisés sont embarqués. Ils ont été cuisinés par des grands chefs ou par les épouses des vieux loups de mer ! À la dégustation, c’est un concentré de bonheur familial qui revigore pour la journée ! (lire : « QUEL CARBURANT POUR LA VOILE ? » sur le blog SANTESPORTMAG ou dans le SANTESPORTMAG n°8). Malgré un soutien psychologique régulier, les skippers peuvent être victime de véritable dépression. Jean-Yves CHAUVE sait, qu’au cours du Vendée Globe, l’après Cap Horn constitue une période à risque. Son franchissement est un objectif difficile et motivant. Mais en arrivant dans l’atlantique, les solitaires réalisent qu’il leur reste encore 10 000 kilomètres pour rejoindre les Sables d’Olonne : ils prennent un coup de massue ! Certains tombent dans la prostration et n’avancent plus ! Le doc des océans aime à raconter qu’en une conversation radio, il a perçu la détresse d’un skipper. Alors comme un grand frère, il l’a secoué : « Rase toi et range ton bateau ! »
Une bonne nuit de 3 heures !
Le docteur CHAUVE s’est aussi beaucoup investi dans la prévention. Il sait que l’optimisation de la vigilance réduit considérablement le risque de blessure. Il précise que ne pas avoir dormi depuis 20 heures altère autant la coordination que 0,5 gramme d’alcool par litre de sang. Il a énormément travaillé sur le sommeil des navigateurs en collaboration avec le service spécialisé de l’Hôtel Dieu à Paris. Auparavant, il était d’usage de serrer les dents… puis tomber dans les bras de Morphée pour de longues heures… jusqu’à l’accident. Nombreux sont les skippers qui se sont réveillés après avoir chaviré. La mésaventure de Steve RAVUSSIN a marqué les esprits. Profondément endormi, il s’est retourné alors qu’il était en tête de la route de Rhum ! Désormais, les marins tentent de structurer leur récupération : 1 à 2 cycles de 1h30 à 2h au cœur de la nuit, 1 à 2 siestes de 7 à 40 mn dans la journée et de nombreux micro sommeils à la barre . Sauf si, comme DESJOYAUX, ils dorment quand ils le peuvent ! … mais au moins, ils dorment, convaincus de l’intérêt du sommeil pour leur survie et leur performance.
LES TEMPÊTES DU DOCTEUR CHAUVE
Au cours de son expérience, Jean Yves CHAUVE a connu des moments houleux ! Des anecdotes étonnantes !
En 1992, il guide Bertrand de BROK qui doit se suturer la langue, tout seul, face à une glace. À cette époque, les échanges s’effectuent par télex et les consignes n’arrivent que toutes les 15 minutes ! Simultanément, Alan Wynne THOMAS chavire et se brise 6 côtes. Il doit patienter 20 jours avant d’être pris en charge alors qu’il a consommé son stock morphine en 48 heures ! Cette galère lui a inspiré la rédaction de ces ouvrages de références, les « guides de la médecine à distance ».
En 1996, Raphaël DINELLI chavire. Il est victime d’hypothermie. Pete GOSS se porte à son secours. Il est guidé par Jean Yves CHAUVE pour procéder aux gestes de réanimation. Au cours de la manœuvre, il se blesse le coude. Une nouvelle fois, le doc l’assiste à distance. Il ouvre la même trousse médicale que lui, mime et décrit les gestes techniques. À plusieurs milliers de kilomètres, le navigateur l’imite et opère son coude, une glace posée sur les genoux.
En 2008, Yann ELIES percute une vague. Il est projeté en avant, sa cuisse heurte violemment le balcon antérieur de son bateau, il se fracture le fémur. Il rampe jusqu’à sa cabine mais peine à récupérer la morphine et à se faire une attelle. Le docteur CHAUVE le surveille et l’accompagne pour les soins d’urgences pendant 48 heures, le temps que les secours australiens arrivent sur zone.
Un jour, loin de la couverture médiatique, Jean Yves CHAUVE est le témoin impuissant d’une rupture d’anévrysme. L’aorte, la grosse artère sortant du cœur, se déchire et le sang se répand inexorablement dans le thorax. Un moment dramatique et fatal dont on ne sort pas indemne. Depuis, l’échographie cardiaque est obligatoire pour bénéficier du certificat d’aptitude à la course au large !
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