par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport.
Marine a 36 ans. Je la connais bien. Depuis des années, elle vient me voit pour ses bobos sportifs. Elle fait du fitness et du running assidûment. Elle est avocate et travaille beaucoup. C’est une collaboratrice très appréciée dans un gros cabinet. Elle prépare son deuxième marathon. L’an dernier, alors qu’elle faisait connaissance avec la distance mythique, elle a réalisé un bon chrono de 4H08.
ET SI VOS APTITUDES NE CORRESPONDAIENT PAS AU CHRONO QUE VOUS SOUHAITEZ ?
Bien évidemment, cette année, elle souhaite atteindre le chiffre rond et franchir le mur des 4 heures. Pour donner plus de fiabilité à son activité sportive, elle a téléchargé sur internet un programme bien structuré. Cependant, elle souhaite personnaliser un peu sa préparation pour ne pas nuire à sa santé … et optimiser ses performances. Elle me consulte avec une petite liste de questions …
Marine : Docteur, je suis ennuyée. Dans un mois, plusieurs copines du cabinet organisent un long week-end à vélo sur les bords de la Loire ! Je serai à 7 semaines de mon marathon ! C’est compliqué ! Ça aurait été super pour souder l’équipe et pour créer des liens amicaux … Dois-je renoncer ?
Le Doc : Oh là Marine ! Vous faites une petite poussée d’orthotraining 😊 ! Je vous explique : ce syndrome est devenu plus fréquent depuis la prolifération des programmes dans les revues spécialisées et surtout sur internet. Ils sont le plus souvent rigides et dépersonnalisés. L’orthotraining est à l’entraînement ce que l’orthorexie est à l’alimentation : une pratique trop rigoureuse, à l’origine de stress social, amical ou professionnel, source de souffrance émotionnelle et surtout sans intérêt sportif !
ORTHOTRAINING : UN PROGRAMME SPORTIF TROP RIGOUREUX SANS INTERET PHYSIOLOGIQUE ET SOURCE DE SOUFFRANCE
Vous savez Marine, la physiologie de l’effort est une science inexac te ! Les concepts sont nombreux et variables selon les modes. « Long et lent », fractionnés de toutes les durées, programme orienté « seuil » ou entraînement polarisé : vous avez le choix ! Récemment, il a même été montré qu’enchaîner les sprints de 6 secondes faisait progresser la VO2max.
PHYSIOLOGIE DE L’EFFORT : UNE SCIENCE INEXACTE AUX VERITES PROVISOIRES
Marine : Ah oui ! Heureusement, je n’ai pas ce type de séances qui me claqueraient les mollets 😊
Le Doc : De plus, Marine, les réponses biologiques adaptatives sont très individuelles. Elles dépendent de votre passé sportif et surtout de votre patrimoine génétique. On parle d’entrainabilité. Votre prestation sur le terrain dépendra surtout de votre ADN. La marge de progression de votre VMA est de l’ordre de 20%. Pour être performant, il faut surtout bien choisir ses parents 😊 ! Concernant votre passé, plus vous êtes entraîné, moins vous progressez ! Cet élément de langage provocateur ne décrit qu’une réalité physiologique.
POUR PROGRESSER, CHOISISSEZ VOS PARENTS
Après quelques années de pratique régulière, votre organisme a déjà parcouru un bon bout du chemin, vous avez largement empiété sur votre marge de manœuvre. Votre amélioration devient asymptotique et un large surcroît de travail n’aura que peu d’effet sur votre niveau ! Pire, puisque le sommet de la forme est un équilibre instable, il ne peut durer éternellement. Si vous insistez, vous risquez de glisser sur les pentes du surentraînement. Au-delà de ce point d’inflexion, plus vous en faites, plus vous régresser !
VOS AMELIORATIONS SONT ASYMPTOTIQUES :
PLUS VOUS VOUS ENTRAINEZ, MOINS VOUS PROGRESSEZ !
Marine : Aïe ! Je n’en avais pas pris conscience ! Le mieux est l’ennemi du bien !
Le Doc : Marine, vous avez plusieurs solutions pour rompre l’asymptote. Souvent, la récupération est la bienvenue. Pour chatouiller les neurones de mes patients, j’aime à dire « on progresse au repos, on régresse à l’entraînement ». Rien de plus vrai ! Si vous terminez une sortie longue dominicale ou un semi en compétition, vous êtes dans l’incapacité de faire demi-tour et parcourir le trajet en sens inverse … tout en améliorant votre chrono ! Votre effort vous a fait régresser !
L’ENTRAINEMENT FAIT REGRESSER, LE REPOS FAIT PROGRESSER !
Il faut attendre la récupération pour reconstituer les réserves d’énergie, reconstruire le muscle et refaire le stock en hormones pour vous améliorer ! Comme pour se préparer à une nouvelle agression, tous ces paramètres remontent au-delà du niveau initial. On parle de rythme « décompensation surcompensation ». Ce processus est la clé de votre amélioration !
Marine : Donc, si j’en fais moins à l’occasion d’un week-end, je peux progresser !
Le Doc : Evidemment, vous allez digérer, assimiler, profiter de votre charge de travail antérieure ! De surcroît, vous allez surprendre votre organisme grâce à une activité nouvelle ! C’est la deuxième façon de rompre l’asymptote pour créer de nouvelles adaptations bénéfiques. Dans votre cas, une longue journée de vélo, en aisance respiratoire, boostera la mise à disposition et la combustion des graisses, un élément clé pour économiser vos réserves de sucre musculaire et repousser le mur du marathon.
POUR PROGRESSER, VARIEZ LES ACTIVITES, SURPRENEZ VOTRE ORGANISME
Dans le même esprit, vous auriez pu partir en randonnée dans les Alpes avec votre conjoint. Cependant, j’apprécie votre proposition de grande balade à vélo pour dissocier les sollicitations. En pédalant, vous ne faites que pousser. Aucune réception, aucun freinage ne vient dilacérer vos fibres musculaires. Vous pouvez enchaîner les kilomètres sans créer de microlésions. Ainsi, pas de facteur limitant locomoteur pour pousser plus avant votre lipolyse. Vous savez que votre corps adore l’entraînement croisé ! J’en fait souvent la promotion, je l’intègre souvent aux programmes individualisés que je concocte à mes patients ! Cette fois, ce sont les opportunités de la vie qui vous le proposent ! C’est un signe !
Marine : Super ! ça me rassure ! J’avais bien envie d’aller voir Cheverny, Chambord et Chenonceau !
Le Doc : Mais oui ! Allez-y ! D’autant qu’un bon programme se doit surtout d’être réalisable dans la vraie vie ! Il est essentiel qu’il puisse se faufiler dans les contraintes ou les opportunités du quotidien. Il faut que le sport soit un plaisir afin d’en faire toute la vie ! J’ai vu trop de mes patients cocher la case du 42 et arrêter, découragés par un mode de vie intenable sur le long terme. Il est nécessaire que le sport soit source de lien social et amical … il serait formidable qu’il se transforme en complicité amoureuse tout au long de le vie !
UN BON PROGRAMME EST COMPATIBLE AVEC LA VRAIE VIE, SOURCE DE CONTINUITE, D’ASSIDUITE, DE REGULARITE ET DE SANTE !
UN BON PROGRAMME EST COMPATIBLE AVEC UNE VIE PROFESSIONNELLE, FAMILIALE, SOCIALE, AMICALE ET AMOUREUSE
UN BON PROGRAMME AUTORISE ET REVENDIQUE L’IMPERFECTION 😊
UN BON PROGRAMME VISANT LE PODIUM DU MARATHON AUX JO 2024 PEUT DEROGER UN PEU A CES REGLES D’OR 😊
L’imperfection, la souplesse, la diversité de votre préparation constituent des points clés de l’assiduité, de la continuité et de la santé ! C’est probablement l’une des raisons de l’engouement pour le trail. Dans cette discipline, il est inutile de courir après une amélioration chronométrique subtile tant les parcours sont incomparables d’un site à l’autre et même d’une année sur l’autre … Inévitablement, la préparation est moins obsessionnelle !
Marine : Mais, il faut quand même une base, une préparation spécifique !
Le Doc : Oui, bien sûr ! Mais l’essentiel consiste à solliciter alternativement les facteurs limitants de la performance. Pour un marathon : beaucoup de course, pas mal d’endurance incluant stock de glycogène et disponibilité des graisses, un peu de puissance avec un seuil et une VO2 max optimisés sans oublier un soupçon de renforcement généralisé et de travail technique. C’est le cocktail qui fait la spécificité !
DES SEANCES CLES SONT NECESSAIRES
UN VOLUME SUFFISANT EST INDISPENSABLE
DES SOLLICITATIONS CROISEES, VARIEES, COMPLEMENTAIRES SONT VIVEMENT CONSEILLEES
Marine : En effet, ce sont les grandes lignes de mon programme !
Le Doc : Très bien ! Voilà qui est logique ! Néanmoins, vous avez la chance de bénéficier d’un vrai background de sportive. Chez d’autres, ces injonctions faisant miroiter le statut de marathonien en 3 mois sont risquées ! Elles manquent de progressivité pour un appareil locomoteur fiabilisé, apte à encaisser la charge de travail. Ces programmes permettent de vendre de coûteux dossards mais ne font pas forcément des finishers ! Ils remplissent souvent les cabinets des médecins du sport. Les muscles rouges et plein de sang s’améliorent rapidement. L’appareil locomoteur passif blanc reçoit peu de nutriments et d’oxygène.
ATTENTION, L’APPAREIL LOCOMOTEUR MET PLUS DE 3 MOIS POUR S’ADAPTER
UN BON PROGRAMME : PAS DE BLESSURE, PAS D’EPUISEMENT !
Les os, les tendons, le cartilage ont besoin de plus de 3 mois pour s’adapter … Avec un accroissement trop rapide de la charge de travail, ils se blessent. Je parle de « syndrome du dragster » pour décrire ce sportif qui acquiert un gros moteur et garde de petites roues fragiles. J’aime à dire qu’une bonne préparation, c’est avant tout un programme qui évite l’épuisement et la blessure !
Marine : J’ai des petites douleurs … mais pas de blessure. Je suis fatiguée mais pas épuisée. En revanche, je suis réellement stressée !
Le Doc : Relax Marine ! Votre vie de jeune professionnelle et sportive, votre épanouissement amical, social et amoureux méritent mieux qu’un programme dépersonnalisé et psychorigide …
VOTRE VIE MERITE MIEUX QU’UN PROGRAMME DEPERSONNALISE ET PSYCHORIGIDE !
Faites-vous plaisir, allez pédaler ou randonner, variez vos entraînements, continuez vos séances clés, montez au moins à six heures de sport par semaine dont quatre de course, réduisez peu à peu la charge trois semaines avant votre 42 sans culpabiliser, reposez-vous quand votre corps vous le demande, évitez les blessures, n’oubliez pas d’aller dîner avec vos amis, optez pour la fraîcheur physique et émotionnelle le jour J ! Gardez l’envie ! Vous allez briser le mur des 4 heures … Mais ce n’est pas obligatoire 😊 !
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