Lors des plus grosses épreuves, les chevaux parcourent 160 kilomètres sur terrains difficiles et pentus. Voilà qui ressemble étonnamment aux plus célèbres ultra-trails. Découvrons l’effort de ces chevaux. Comparons-le à celui des hommes !
Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport.
Bien évidemment, l’endurance équestre ne compte pas que des compétitions hors norme. Au contraire, cavaliers et chevaux débutent très progressivement. Chacun d’eux doit valider des épreuves de 20, 40, 60 puis 90 km. D’abord, la vitesse est imposée, comprise entre 12 et 15 km/h. Inutile d’être un grand technicien de l’équitation pour accéder au plaisir de ces grandes balades dynamiques. Le 2 e niveau équestre, appelé « galop 2 », est suffisant pour s’inscrire, alors que le « galop 7 » est nécessaire pour les concours d’obstacles officiels. Mais, si vous souhaitez vous y mettre, ne négligez pas votre condition physique ! Rien à voir avec une petite reprise dominicale. Cette fois, il faut trotter et galoper sans discontinuer pendant 2 à 9 heures. Pour encaisser, le cavalier d’endurance a tout intérêt à être un peu joggeur.
La visite d’aptitude du cheval ? Plusieurs fois par compétition !
Au cours des épreuves d’initiation, les concurrents partent seuls ou par petit groupe, en « contre la montre ». Le cavalier se concentre sur la gestion de sa vitesse et apprend à analyser l’intensité de l’effort fourni par sa monture. Le respect du cheval et la préservation de sa santé sont omniprésents. Des contrôles vétérinaires sont programmés au début, pendant et à la fin des épreuves. Tout est examiné : le cœur, son fonctionnement, sa récupération ; la circulation sanguine et l’hydratation ; les articulations et les muscles ; les intestins et la digestion. Un cheval qui tolère mal l’effort ou qui boite à l’une des visites doit arrêter l’épreuve et est éliminé ! Le classement final dépend plus de la condition physique de la monture que de la vitesse. Les bons cavaliers d’endurance aiment à dire que « finir, c’est déjà gagner ! ». Les traileurs philosophes partagent souvent la même opinion : Just do it. Dans les compétitions d’endurance équestre de plus de 90 kilomètres, la vitesse est libre. Les départs se font en peloton… avec des animaux pleins d’énergie et survoltés ! C’est une vraie course ! Il faut affronter la concurrence… mais toujours être à l’écoute de son cheval pour éviter la défaillance. Les contrôles vétérinaires sont toujours là. L’élimination menace pour protéger le cheval. Après parfois plus de 10 heures de course, c’est le premier qui franchit la ligne qui gagne l’épreuve… À condition qu’il ne boite pas et que sa fréquence cardiaque soit inférieure à 64 battements par minute 30 minutes après l’arrivée.
Mettez un cheval dans votre moteur !
Chez l’homme, il est d’usage d’évaluer la fréquence cardiaque maximum grâce à la formule : (220 – âge en années). Un joggeur de niveau moyen l’atteint à 15 km/h, un marathonien de très haut niveau vers 23 km/h. Chez le cheval, elle est de 240 à 250 battements par minute ; il galope alors à 45 km/h ! Le « seuil anaérobie », l’intensité à partir de laquelle l’acide lactique s’accumule dans le sang, est souvent un peu plus bas chez le cheval que chez l’homme, aux alentours de 150 à 160 battements par minute. Les meilleurs pur-sang arabes terminent les grosses épreuves roulantes de 160 km à plus de 24 km/h en moyenne, à une fréquence cardiaque de 120 environ ; ils sont au grand galop pendant près de 8 heures ! Pendant toute cette durée, le cavalier est debout sur les étriers et amortit les oscillations des foulées : les cuisses et le dos travaillent énormément. Parfois, il s’assoit un peu dans sa selle et suit le mouvement avec son bassin. De toute façon, c’est ultra physique et sa fréquence cardiaque avoisine celle de son cheval ! Cette intensité correspond environ à une randonnée active en côte. L’un de nos meilleurs cavaliers français, Jack BÉGAUD, est aussi marathonien ! Compte tenu de la vitesse à ce niveau, descendre du cheval et courir à ses côtés pour le soulager provoquerait une grosse perte de temps. Cette stratégie n’est pratiquée que lors des épreuves avec beaucoup de relief et en terrain très accidenté. Dans ces conditions, la vitesse moyenne des meilleurs est beaucoup plus modérée, aux alentours de 17 km/h. Surtout, le poids du cavalier perturbe l’équilibre et fatigue beaucoup plus le cheval ! Sur d’autres profils, le pilote doit concentrer ses forces pour rester fixe et léger afin de ne pas perturber le mouvement de son cheval.
Les moteurs chauffent !
Le système énergétique du cheval, son « métabolisme », a sa faiblesse. Il entre plus facilement en surchauffe que celui de l’homme. Comme chez le coureur de fond, 75 % des calories consommées se transforment en chaleur et 25 % en travail mécanique. Mais le système d’évacuation par la peau est moins performant. En effet, en comparaison de sa masse musculaire, chez le cheval, la surface cutanée est trois fois plus faible… l’hyperthermie et la déshydratation sont toujours redoutées. Elles provoquent parfois une altération de la récupération entraînant l’élimination. Au pire, elles déclenchent un éclatement des fibres musculaires ou « rhabdomyolyse » appelé plus volontiers « coup de sang » dans le jargon équestre. En course, le cheval est copieusement arrosé. On lui propose de boire le plus souvent possible. Souvent, on y ajoute une supplémentation en minéraux. Pour certains physiologistes équins, le cheval pourrait se contenter d’eau et éviter ces « boissons de l’effort ». Contrairement à l’homme, il conserve son volume sanguin et compense ses pertes en sel en utilisant l’urée provenant des nombreuses bactéries de son tube digestif d’herbivore. Les contrôles vétérinaires tentent aussi de prévenir les complications graves de la déshydratation. En course, les problèmes « métaboliques » sont responsables d’environ 20 % des éliminations. En observant l’état de certains marathoniens lors des derniers kilomètres, on se dit qu’ils auraient été nombreux à ne pas franchir le « dernier contrôle véto ». L’orgueil mal placé du coureur peut se révéler aussi dangereux que le coup de talon d’un cavalier ambitieux ! Souvenez vous des panneaux sur le bord des grandes courses populaires : « La santé avant la performance »… c’est un dogme en endurance équestre !
Un appareil locomoteur fragile
Si l’on se réfère à l’évolution des espèces, il est logique d’affirmer que les chevaux galopent sur les doigts. Sur chaque membre, il persiste un ongle, le sabot. Les autres se sont atrophiés. La finesse des jambes contribue à la vitesse mais fragilise l’appareil locomoteur, surtout lorsque le terrain est irrégulier, caillouteux, dur ou trop profond. Si un coureur de fond porte des chaussures amortissantes ou des semelles correctrices, le cheval d’endurance peut bénéficier d’une ferrure orthopédique associée à des plaques anti-vibrations. Ce vaillant quadrupède transporte à la force de son dos un cavalier représentant plus de 15 % de son poids. C’est comme si vous courriez avec un sac à dos d’environ 10 kg… qui ballote plus ou moins. À haut niveau, la fixité du pilote, son niveau technique et sa condition physique influencent clairement le résultat de la compétition. Les boiteries sont responsables de 80 % des éliminations ! Le plus souvent, il s’agit de tendinites ou d’entorses. Elles peuvent être favorisées par un mauvais contrôle de la vitesse ou des trajectoires. Ces irrégularités d’allure ont parfois une composante métabolique, notamment en cas de contractures musculaires dans le dos.
Génétique et entraînement !
Comme chez l’homme, la génétique est essentielle ! Tout le monde ne peut pas courir le marathon en 2h06 ! Il faut un cœur puissant et des articulations qui résistent à la charge de travail. L’appareil locomoteur s’adapte beaucoup moins vite que le système cardiovasculaire. Ainsi, l’amélioration rapide de la condition physique favorise parfois les blessures. En France, la validation progressive des distances de compétition contribue à la maturation des chevaux. Dans de nombreux centres d’entraînement, les jeunes chevaux de 5 à 6 ans se contentent de marcher ou de trottiner, ils se renforcent sur le relief ou dans le sable profond. D’autres sont plus demandeurs de résultats rapides… notamment pour vendre ces chevaux ! Plus tard, chaque spécialiste a sa méthode. Certains ne croient qu’aux longues sorties « foncières » souvent plus lentes que la vitesse de course. Le docteur LECLERC, vétérinaire et ancien entraîneur national d’endurance, fait partie de ceux-là. Il aime à dire qu’au sein de l’équipe de France, on trouve de vieux chevaux de plus de 17 ans (68 ans en chronologie humaine) en pleine forme et sans trace d’usure articulaire ! D’autres programment des séances plus intenses ou fractionnées. Ils pensent, comme de nombreux entraîneurs d’athlétisme, qu’un travail rapide, occasionnel mais bien ciblé permet de progresser en limitant les kilomètres à l’entraînement. À l’aide de cardiofréquencemètres spécifiquement conçus pour les chevaux, ils réalisent un travail au « seuil » sur des pistes cavalières, sur des hippodromes ou sur des plages voisines. Ils sollicitent aussi la « consommation maximum d’oxygène » ou « VO2max » de leurs pensionnaires en galopant en côte pendant 2 à 5 minutes. Comme les coureurs font de la « préparation physique généralisée », bon nombre de chevaux d’endurance bénéficient d’un travail de dressage en manège pour s’assouplir et se renforcer. Selon les cavaliers, 3 à 6 séances hebdomadaires variées sont programmées. Au cours de la semaine précédant la compétition, le cheval reste tranquillement au pré ou travaille très peu. Après les grosses courses, il est d’usage d’arrêter tout entraînement pendant 3 à 6 semaines. En fin de saison, il se repose souvent 3 mois ! Cette pause semble profitable à son appareil locomoteur encore plus fragile que celui du coureur. Heureusement ses aptitudes physiologiques régressent 2 à 4 fois plus lentement !
LE PUR-SANG ARABE : PRINCE DE L’ENDURANCE !
Le pur-sang arabe est pourvu d’une proportion importante de « fibres musculaires rouges et lentes ». Comme chez l’homme, cette qualité est essentielle pour l’endurance. Elles sont riches en vaisseaux sanguins et contiennent beaucoup d’enzymes utilisant l’oxygène pour brûler les graisses et les sucres. De surcroît, en plein effort, le pur-sang arabe régule bien sa température corporelle. Il transporte aisément la chaleur produite par ses muscles vers sa peau, au contact des glandes sudorales et de l’air plus frais. Sa morphologie longiligne lui confère une surface cutanée élevée. Sa peau est fine et très richement vascularisée. Il est souvent de couleur grise, absorbant peu les rayons du soleil. Les spécimens sélectionnés pour l’endurance ont la foulée rasante mais vigilante. Depuis quelques années, les pur-sang arabes ont supplantés les autres races même celles richement dotées en fibres lentes comme les trotteurs, les poneys ou les chevaux de chasse à courre. Ces modèles semblent trop trapus pour évacuer efficacement la chaleur. Les pays du Golfe ont mis en place de gigantesques élevages et centres d’entraînement totalement dédiés à l’endurance équestre. Parmi les centaines de chevaux formés, il émerge plus aisément des individus d’exception qui font la gloire du pur-sang arabe !
BIBLIOGRAPHIE :
Débuter et progresser en endurance équestre. Lucie MERCIER. Éditions Belin.
Tenir la distance. Tout sur le cheval d’endurance. Nancy S.LOVING. Éditions Acte sud.
Endurance. Léonard LIESENS. Edité à compte d’auteur.
Cardio et Sport. Septembre 2010. Numéro spécial L’Athlète équin.
Les Causes d’élimination en épreuves d’endurance équestre : étude rétrospective menée en France en 2001. Sylvie MEYRIER. Thèse d’exercice, École nationale vétérinaire de Toulouse.
Évolution de paramètres biologiques simples en relation avec l’entraînement et la performance chez le cheval d’endurance. Caroline DIDELOT. Thèse pour le doctorat vétérinaire. 1981
Crédit photos : Jean-Marc CAMMET
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