Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport
Sébastien a 43 ans. Il est ultra-traileur. Il bosse comme chef de projet dans une boîte de logiciel. Il vient me voir pour une douleur à l’avant du genou. L’entretien et l’examen mènent facilement au diagnostic. Il présente une « rotule forcée ». En vue d’une grosse épreuve, il a augmenté un peu vite sa charge de travail et surtout il a abusé du relief. Pas de drame ! La stratégie thérapeutique est simple : des plantes régulant la poussée inflammatoire, des compléments alimentaires reconstituant le cartilage et surtout des conseils d’entraînement. On prévoit un microcycle de régénération. On remet l’accent sur l’entraînement croisé avec du vélo en moulinant et de la natation même en brassant. On insiste sur l’utilisation des bâtons qui soulagent de 20% les membres inférieurs. On fait une IRM pour confirmer le diagnostic, quantifier l’irritation du cartilage … et surtout pour rassurer. Et tout devrait rentrer dans l’ordre !
Sébastien : Top, ces conseils me vont bien … et en plus pas d’arrêt sportif ! … Je peux vous poser une petite question complémentaire ?
Le Doc : Bien-sûr Sébastien ! Expliquer et communiquer, j’adore ça !
Sébastien : Un de mes copains est ingénieur dans une boîte concurrente. Il joue au tennis le samedi et il court une petite heure le dimanche. Son service RH lui a dit qu’il était « sportif et sédentaire » … C’est quoi cette notion ? Suis-je concerné ?
Le Doc : Ah oui ! « Sportif et Sédentaire » ! C’est un nouveau concept institutionnel ! Il décrit le statut de ceux qui font un peu de sport et restent assis toute la journée … Une étude met en évidence que 15 à 20 minutes de marche active ne compensent pas une journée entière rétracté devant un clavier d’ordinateur. On s’en serait douté !
SPORTIF ET SEDENTAIRE : UN NOUVEAU CONCEPT INSTITUTIONNEL
Une autre recherche montre que notre cœur et notre métabolisme préfèrent marcher 5 minutes par heure pendant la journée que d’effectuer cette balade en continu pendant une trentaine de minutes. L’info est plus pertinente car on a longtemps pensé que la notion d’endurance prévalait.
Sébastien : Mais comment peut-on expliquer ces constatations ?
Le Doc : Nous disposons de plusieurs pistes biologiques. Ces informations constituent l’argumentaire scientifique d’un excellent cardiologue du sport, le professeur François CARRE, grand défenseur de l’activité physique pour tous. Un muscle qui ne travaille pas pendant de longues heures ne réclame plus d’énergie. Il n’absorbe ni glucose ni graisse, qui s’accumulent alors dans le sang.
MARCHER 5 MN CHAQUE HEURE PLUS EFFICACE QUE 30MN EN CONTINU
Il est recommandé de relancer régulièrement la combustion des calories pour éviter l’accumulation de plaques d’athérome dans les artères. Une masse musculaire qui ne se contracte pas n’exerce pas de variation de pression dans les nombreux vaisseaux qui la traversent. En l’absence de pompage périphérique, le cœur est contraint de pousser plus fort, faisant insidieusement le lit de l’hypertension artérielle.
Sébastien : Mais c’est nouveau ce concept de « sportif sédentaire » ?
Le Doc : Les cabinets médicaux ont conscience de cette notion depuis toujours. Il y a des années, je me souviens avoir écrit un article autour d’un cas clinique emblématique. Il s’intitulait « Et pourtant, il fait du sport ! ». L’accroche reprenait la phrase d’une maman qui m’amenait son petit bonhomme obèse qui était inscrit au foot deux fois par semaine et qui grignotait devant son écran le reste du temps ! De la même manière, votre copain ne bouge pas assez … Il pourrait mieux faire !
Sébastien : … Mon pote n’est pas en surpoids mais il m’a rapporté que certains de ses collègues étaient plutôt enrobés. Les RH de sa boîte ont externalisé la lutte contre la sédentarité à une entreprise spécialisée … Le coach lui a mis un petit pédalier sous le bureau … Il lui a dit de s’asseoir régulièrement sur un ballon … il anime des petites séances de gym toutes les heures … il a organisé un jeu de piste dans l’open-space, les couloirs et les escaliers … ça me fait marrer ! Mais ça m’intrigue aussi ! Dois-je faire pareil ?
Le Doc : 😊 Sébastien ! Un ultra-traileur avec un petit pédalier sous son bureau … vous n’avez pas honte ! 😊 … C’est interdit ! 😊 Laissez tomber ces injonctions culpabilisatrices ! N’écoutez pas les messages institutionnels tels que : marchez 30 minutes par jour, prenez les escaliers, descendez du métro une station avant votre destination, trouvez un parking loin de votre bureau, allez faire des photocopies au fond du couloir, bougez jusqu’à la machine à café … Elles ne vous concernent pas ! La fameuse étude de Framingham nous aide à déterminer la quantité d’activité hebdomadaire protectrice.
7H ET + DE SPORT PAR SEMAINE. ACTIVITE PHYSIQUE FACULTATIVE
Les médecins et épidémiologistes américains ont espionné le mode de vie des habitants de cette petite ville étatsunienne pendant des années. Ils ont décelé que le sport voyait ses bienfaits être plafonnés puis régresser au-delà de 3500 calories par semaine soit environ 7 heures d’endurance hebdomadaire. Vous êtes au-dessus de cet ordre de grandeur … donc vous n’avez pas besoin de plus ! Si on pousse le bouchon de la théorie, ce pourrait même être néfaste 😊 …
Sébastien : A bien y réfléchir, je cherche plutôt à optimiser ma récupération ! COMPEX essaye aussi de me vendre des petites machines qui font trembler mes muscles pour vasculariser, régénérer, drainer mes muscles 😊 ! Même chose avec de grosses bottes compressives qui font rigoler ma femme … Elle me compare à un cycliste du tour de France qui s’allonge et se fait masser à l’arrivée de chaque étape…
Le Doc : Parfait Sébastien ! Vous avez perçu le grand écart conceptuel ! De plus, vous le savez, vous êtes toujours à la limite du surentraînement … D’ailleurs, je vous invite fréquemment à la modération. Et votre appareil locomoteur se comporte souvent comme un fusible de surmenage. Preuve en est votre souffrance rotulienne actuelle…
Sébastien : Alors, comment expliquer que mon entraînement me protège du manque de sollicitation physique dans la journée ?
Le Doc : Du fait de la consommation d’énergie propre à vos grosses séances, vos muscles sont en demande permanente de graisse et de sucre ! On parle de « fenêtre métabolique prolongée » et d’augmentation chronique de la sensibilité à l’insuline ! Il en est de même pour votre tension artérielle. A l’occasion de vos efforts intenses et de longue durée, vos vaisseaux ont appris à s’ouvrir largement pour amener du sang, de l’oxygène et des nutriments aux volumineuses masses musculaires en action. Ils savent désormais rester dilatés.
EFFET PROTECTEUR DES VRAIES SEANCES SUPERIEUR A 24H
On dit que « le sport est une école de vasodilatation ». Voilà qui contribue à réduire votre tension artérielle tout au long de la journée … Dans ces contextes métaboliques et vasculaires, vous comprenez que solliciter les bras et les jambes simultanément se révèle encore plus bénéfique. Voilà un nouveau coup de pub pour l’utilisation des bâtons à l’entraînement comme en compétition. D’ailleurs, vous pouvez décliner cette réflexion à la natation, au ski de fond ou à l’aviron ainsi qu’à leurs équivalents en salle : rameur, elliptique et autres Skierg, climbeur ou Assaut bike.
Sébastien : A votre avis notre corps est programmé pour quelle quantité d’activité ?
Le Doc : Si on se réfère à la médecine évolutionniste très en vogue dans la recherche anglosaxonne, on ne peut qu’être intrigué par les 3500 calories par semaine de Framingham ! Ils correspondent à la dépense énergétique des chasseurs cueilleurs du paléolithique. Et dans les grottes, pas d’animations pédagogiques pour faire la promotion du mouvement ! Au contraire, c’était taille des outils en position assise ou entretien du feu … et surtout repos dès que possible pour récupérer de la chasse à l’épuisement.
7H PAR SEMAINE EN 3 SESSIONS : LE RYTHME NATUREL AU PALEOLITHIQUE
En petits groupes de fins stratèges, sapiens poursuivait le gros gibier jusqu’au coup de chaleur de l’animal, un peu comme en chasse à courre. Cette séance était nécessaire approximativement trois fois par semaine et durait environ 2 heures ! On n’est pas loin du programme d’un traileur qui stocke les bienfaits du mouvement au profit de sa santé globale … Alors, je vous invite à continuer à aller au bureau pour travailler vite et bien ! Gagnez du temps et partez crapahuter, courir, pédaler, nager, faire du renfo et du yoga avec votre épouse ! Vous serez plus rentable ! Vous serez plus heureux !
Sébastien : C’est vrai que j’adore courir dans la nature, ça me fait un bien fou !
Le Doc : Vous touchez un élément clé des bienfaits du sport : le plaisir et le bien-être ! Vous avez envie de bouger ! Vous aimez le mouvement ! Votre système nerveux se laisse bercer par la cadence régulière de vos foulées. Il accueille et se laisse tranquilliser par le rythme de votre respiration. Lorsque vous dévalez une pente, en stabilisant subtilement chacun de vos appuis, vous êtes nécessairement dans l’instant présent. Votre communion avec la lumière au lever du soleil, les bruits du vent et les odeurs de la campagne au petit matin peaufinent encore votre rituel méditatif ! Votre activité sportive harmonise vos émotions ! Elle vous apaise !
PLAISIR ET APAISEMENT PROCURES PAR LE SPORT SONT PUISSAMENT BENEFIQUES A LA SANTE
De façon plus scientiste, on peut affirmer qu’elle réduit profondément votre stress ! Votre système nerveux parasympathique est doucement activé, il favorise votre récupération cérébrale et votre sommeil s’améliore. Votre inflammation chronique délétère pour vos artères diminue ! Votre immunité optimise son fonctionnement, la lutte contre les microbes et les cellules cancéreuses devient plus efficace ! Voilà qui contribue de façon plus fondamentale à votre santé !
Sébastien : Cet argumentaire plus holistique me rassure ! Je préfère les grandes sorties vélo dans les cols alpestres au jeu de piste dans les couloirs du bureau …
Le Doc : Le sport recèle bien d’autres avantages en comparaison d’une activité physique contrainte. Chaque mouvement, chaque réaction motrice sollicite d’amples réseaux neuronaux identiques à la pensée. On parle d’ailleurs d’intelligence gestuelle.
LE SPORT : DES BIENFAITS SUR LA COGNITION ET LA CREATIVITE
Les études démontrent un réel transfert de ces acquis vers la cognition. C’est vrai à l’échelle de la journée ou de la vie en améliorant les aptitudes intellectuelles et la mémoire ! Sans compter que la déambulation physique et le vagabondage de la pensée propre aux sports d’endurance permettent prise de recul et créativité. On parle de sérendipité pour décrire ces idées trouvées au fil des kilomètres …
Sébastien : De plus, je ressens que les trails en montagne qui font étape dans mon agenda s’intègrent à un véritable projet de vie, un chemin de réalisation personnelle ! Il est incontestable qu’un petit pédalier sous la table dans un bureau climatisé à la Défense ne mène pas au même épanouissement !
Le Doc : Du fait de mon métier, de mes bouquins, de mes articles et de mes chroniques télé, j’ai été sollicité par ce type de prestataire pour étayer et crédibiliser la démarche en entreprise. J’ai arrêté par honnêteté intellectuelle … Que se soit le podomètre, les kilomètres à vélo, les cours du gym du midi ou d’autres créations pédagogiques pour mobiliser les plus réticents, on se rend compte que ça ne marche pas bien ! Le concept reste laborieux ! Au-delà des constatations de terrain, j’aime faire référence à une étude emblématique … sur les souris ! Chaque nuit, ce petit animal court en moyenne quatre kilomètres dans sa roue. Des chercheurs ont fait deux groupes répartis de part et d’autre de cette valeur médiane. Ils ont multiplié entre eux les rongeurs sélectionnés.
GOUT POUR LE SPORT : LOURDE INFLUENCE DE LA GENETIQUE
Au bout de dix générations, les individus les plus actifs couraient 11 kilomètres par jour et les plus cossards faisaient trois tours et allaient manger du fromage … Au prix d’une petite extrapolation à l’espèce humaine, on peut émettre l’hypothèse provocatrice que la sédentarité comme le goût pour le mouvement sont à forte composante génétique … Difficile d’y déroger … mais peut-être pas impossible !
Sébastien : C’est vrai ! Spontanément, je me caserai bien dans la catégorie des hyperactifs. D’ailleurs, en y regardant de plus près, je ne supporte pas de rester assis trop longtemps. Naturellement, je me lève pour échanger avec mes collaborateurs. C’est plus facile que d’écrire un mail dont il faut doser chaque mot … Et c’est plus rapide que d’attendre la réponse électronique …
Le Doc : A vrai dire, je taquine ceux qui brainstorment autour du mouvement au quotidien, mais j’adhère à cette idée au cabinet. Par chance, je dois me lever pour examiner mes patients, je montre les exercices, je teste les muscles et les articulations ! Je pense que ça n’a rien à voir avec rester assis derrière un ordi ! Malgré ce dérouillage ritualisé, je demande aux hôtesses d’accueil d’indiquer à mes sportifs la salle d’attente la plus éloignée de mon bureau. Entre chaque consultation, je sens bien que cette petite marche me fait du bien !
Sébastien : Vous pensez que c’est bénéfique pour votre cœur ou vos articulations ?
CHEZ LE SPORTIF ASSIDU, BOUGER DANS LA JOURNEE RESTE UTILE A L’APPAREIL LOCOMOTEUR
Le Doc : Excellente question Sébastien ! Au-delà des études cardiovasculaires et métaboliques, le bouquin « Que ton mouvement soit ton médicament » de Katy Bowman est très inspirant. Cette biomécanicienne américaine décrit tous les méfaits articulaires et locomoteurs de l’immobilité prolongée. Je l’ai constaté chez mes patients notamment au cours du confinement. La position recroquevillée devant l’ordinateur dans un contexte de stress inédit a été à l’origine de nombreuses souffrances. Les muscles soutenant la tête et s’accrochant aux omoplates se sont épuisés et contracturés … Les patients étaient victime du syndrome de l’angulaire.
ASSIS LONGTEMPS : RETRACTION ET ADHERENCES DES FASCIAS, TENSIONS ET CONTRACTURES MUSCULAIRES, AFFAISSEMENT DES DISQUES INTERVERTEBRAUX
A l’inverse, les grandes membranes conjonctives antérieures, les fameux fascias, se sont enraidis et rétractés … jusqu’à bloquer les épaules et provoquer des capsulites … Les disques intervertébraux figés voient leur gélatine amortissante fuir les zones d’hyperpression. Ces postures prolongées tirent sur les anneaux fibreux et provoquent des douleurs. Rien de tel que le mouvement pour pomper et répartir au mieux ce liquide visqueux. De fait, je crois qu’il est essentiel de bouger. Même une bonne position en bureautique, conforme aux dogmes ergonomiques, devient mauvaise si elle se prolonge ! Une articulation est faite pour s’articuler !
RELAXATION MINI-MEDITATION POUR REDUIRE LES TENSIONS
Il est tout aussi important de se relaxer afin d’éviter les tensions musculaires anarchiques à composante émotionnelle mais aussi les fermetures vasculaires sources de fibroses dans les fascias. Le plus simple reste de réaliser périodiquement ou à la demande, une courte méditation assise en insistant sur la respiration et le poids des membres … Sans oublier de rompre avec le perfectionnisme trop souvent cautionné par le monde de l’entreprise …
Sébastien : Dans le genre fascia, je fais du Yoga une fois par semaine avec mon épouse. C’est vous qui me l’avez suggéré pour éviter le « syndrome du criquet » du traileur qui court ramassé en avant notamment en côte … En guise de renfo, j’ai mon CrossFit hebdomadaire. On nous a bien expliqué que les mouvements de balanciers, notamment avec les kettels, amélioraient l’élasticité des fascias … Tout ça va dans le bon sens !
Le Doc : Là encore, votre remarque est pertinente. Elle évoque la complémentarité des pratiques sportives pour un bien-être au quotidien ! Bien évidemment, cette discipline millénaire avait compris et sollicité bien en avant nous les fascias. Elle utilise des techniques et des postures pour étirer de façon globale l’ensemble des haubans conjonctifs. On peut y ajouter le travail de conscience corporelle et l’aspect méditatif qui potentialisent les bienfaits du Yoga. Il est hautement probable que les bénéfices acquis lors de votre séance vous aident à compenser votre position assise au bureau … et vous aident à comprendre l’intérêt de mouvements plus fréquents.
YOGA, PILATES, RENFO ET CROSSFIT AMELIORENT LA TOLERANCE A LA POSITION ASSISE
Sébastien : Bon je résume … histoire de cautionner mon chemin de vie et ne plus culpabiliser quand je travaille derrière mon bureau 😊 ! Au-delà de sept heures de sport par semaine, inutile de répondre aux injonctions institutionnelles nous obligeant à brûler plus de calories. Mon cœur, mes vaisseaux et mon métabolisme n’ont pas grand-chose à y gagner ! J’avoisine le programme naturel d’un homme préhistorique 😊 ! En revanche, mon appareil locomoteur souffre quand il reste tendu et rétracté en position assise prolongée. Je continue le yoga avec ma femme et mon CrossFit en guise de renfo … Sans oublier de me déplacer au bureau pour aller voir mes collègues … comme vous quand aller chercher vos patients … Et bien sûr je prends plaisir à faire du sport !
Le Doc : Top ! Je pars en vacances et vous me remplacez 😊
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