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EN VOILE, QUI DORT GAGNE

Lors des courses en solitaire, la performance et la survie dépendent étroitement de la vigilance. Activités physiques et intellectuelles intenses imposent un sommeil de qualité alors que le danger menace à chaque instant. Comment font les skippers ?


Par le docteur François DUFOREZ et le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport.


Pour répondre à la question « Comment font les skippers pour avoir un sommeil de qualité ? », nous avons sollicité le docteur François DUFOREZ, médecin du sport et spécialiste du sommeil. À l’European Sleep Center et à l’Hôtel-Dieu, il a suivi de nombreux navigateurs.





Une énorme charge de travail


Sur un voilier, l’exercice musculaire est quasi-permanent. La charge mentale l’est tout autant. Derrière son poste informatique, le skipper étudie la météo, choisit son parcours, reste en contact avec les médias. Il est d’usage de comparer un skipper solitaire à un coureur automobile du Dakar sans coéquipier : il pilote, consulte ses cartes, raconte ses aventures à la télé puis répare sa voiture la nuit venue en déplaçant de gros pneus ou de lourdes tôles.


3 types de sommeil


Les navigateurs disposent de plusieurs types de sommeil. En premier lieu, ils ont parfois le luxe de s’octroyer des cycles de sommeil complets de 90 à 120 minutes. Au cours de ces derniers, sommeils légers et profonds s’enchaînent suivis d’une période de rêve. Le corps récupère, le cerveau aussi ! Les muscles se réparent, la mémoire se structure. Seule manque la quantité. Alors que 3 à 5 cycles se succèdent lors de vos nuits paisibles, les marins doivent se contenter d’un seul, exceptionnellement de deux ! Pour un minimum de confort et sérénité, ils s’installent en cabine dans un hamac ou sur un matelas posé au sol. Les skippers font également des siestes de 7 à 40 minutes. Classiquement, elles sont composées de sommeil léger. Peu à peu avec l’habitude et la fatigue, elles s’enrichissent en sommeil profond et en rêves. Ces séquences de repos favorisent la mémoire des évènements récents, une fonction intellectuelle essentielle pour optimiser la stratégie de course. Les marins s’installent dans le carré, entre la cabine et le pont. Pour bénéficier d’un bon maintien, certains dorment dans des sièges de rallye, couverts d’une mousse amortissante. Ils ne s’attachent pas afin de s’extraire au plus vite de leur fauteuil en cas d’urgence. Enfin, les skippers pratiquent les sommeils flash de 90 secondes à 5 minutes. Ils peuvent ainsi s’endormir à barre. Classiquement, dans les mers du sud, ils s’assoupissent au sommet des longues houles et se réveillent dans les creux pour contrôler la position du bateau. Ce type de sommeil favorise les associations d’idées. De fait, il entretient les réactions rapides et opportunes !


Demandez le programme idéal


Il est démontré qu’un marin bien reposé au départ fait moins d’erreurs pendant la compétition. Avant de prendre la mer, il doit dormir un maximum ! Ainsi, il stocke du sommeil ; à moins qu’il ne se contente de payer sa dette accumulée lors des longues journées consacrées aux derniers préparatifs et à la promotion auprès des sponsors. Au cours de 8 à 12 jours de Route du Rhum, certains navigateurs, comme Jean-Pierre DICK, tentent de structurer au mieux leur repos. La nuit, le cerveau réduit nettement la vigilance entre 2 et 6 heures, un processus naturel largement amplifié par l’obscurité. Classiquement, il est bon d’en profiter pour plonger dans un cycle de sommeil complet de 90 à 120 minutes. Le skipper peut rarement en enchaîner deux. En dormant, son cerveau filtre les bruits. Il est sourd au vacarme du bateau. Les craquements incessants de la coque, le sifflement du vent, les chocs de la houle ne le réveillent pas ! Mais, au moindre son anormal, il sera en alerte ! Les mamans, insensibles aux bruits de la rue mais réveillées par les pleures de leur enfant, connaissent bien cette aptitude mentale ! La période nocturne est complétée par de nombreux sommeils flash. Dans la soirée, il s’agit surtout de sommeil léger. Au cœur de la nuit, ils sont surtout constitués de sommeil profond, notamment quand la dette de sommeil s’accumule. Au petit matin, les rêves s’imposent… et ressemblent étrangement à des hallucinations. Théoriquement, la matinée n’est pas propice au sommeil récupérateur. Les navigateurs évitent de dormir pendant cette période de la journée. Ils préfèrent prendre un petit déjeuner riche en protéines, source d’éveil. En revanche, ils font souvent deux siestes, placées dans les creux de vigilance vers 14 h et 18 h. Au-delà de cette journée type, les phases de repos des skippers dépendent étroitement de l’environnement. Ainsi, le talentueux Michel DESJOYEAUX résume-t-il l’organisation de son sommeil : « Je dors quand je peux ! »


LES SKIPPERS NOUS APPRENNENT À CONDUIRE


À terre, la sieste du navigateur solitaire porte le nom de « pause parking ». Elle se révèle particulièrement efficace pour récupérer la forme lorsque la voiture remplace le voilier. À l’occasion de vos longs trajets, elle a démontré son efficacité pour réduire le risque routier. Elle est particulièrement indiquée quand la tête se fait pesante et que les yeux commencent à piquer. Elle est recommandée vers 14 h, quand les statistiques mettent en évidence un pic d’accidents alors que le cerveau réduit naturellement sa vigilance. Ce phénomène se constate indépendamment de la digestion. Il s’aggrave après un repas copieux riche en féculents.

La sieste du navigateur devenue « pause parking » dure en moyenne 20 minutes, à peine plus long qu’une halte détente habituelle. Avec l’usage, elle devient d’ailleurs plus courte et plus régénératrice. Arrêtez-vous dans un endroit calme, inclinez le dossier de votre siège, fermez les yeux, détendez-vous. Pratiquez la mini relaxation : « Je respire tranquillement par la bouche, mâchoire desserrée, je fais lourde ma tête, lourds mes bras, lourdes mes jambes ». Vous pensez ne pas vous endormir, c’est possible les premières fois… mais ça vient vite ! De toute façon, vous serez déjà bien reposé ! Vous avez peur de plonger pour une longue nuit ? N’ayez crainte, votre cerveau a bien intégré que vous n’étiez pas dans votre lit ! Vous vous réveillez spontanément après 20 minutes de sommeil léger.

Encore une astuce : prenez un café avant de vous endormir. La caféine met 30 minutes pour gagner la circulation sanguine. Elle facilitera votre réveil. Elle réduit la torpeur ressentie parfois après une sieste inhabituelle. Mieux encore, vous cumulez la vigilance d’un corps reposé et la stimulation du café. Les plus motivés sortiront pour marcher, respirer et faire quelques mouvements… Parfait, vous avez retrouvé la grande forme : « Bonne route ! Et bon vent ! ».


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