Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport
Rédacteur en chef de www.docdusport.com
Simone a 74 ans. Je la connais depuis près de 30 ans. Chaque année, je réalise sa visite médicale d’aptitude pour la gym douce et la marche nordique. Aujourd’hui, elle me consulte en urgence pour une violente douleur à l’épaule.
Le Doc : Simone, racontez-moi ! Vous souffrez depuis quand ?
Simone : Je me suis fait très mal avant-hier à la gym en assouplissant mon épaule et j’ai entendu un « crac » … mais j’avais déjà quelques douleurs en faisant les tourniquets …
Le Doc : Oh là … Je crains comprendre ! Dites-moi à quoi ressemble l’exercice d’assouplissement de l’épaule.

Simone : … il faut tout simplement essayer d’attraper ses mains derrière le dos, entre les omoplates … J’ai toujours eu des difficultés !
Le Doc : Aïe ! Et les moulinets ?
Simone : Les tourniquets, docteur !
Le Doc : D’accord, les tourniquets 😊 ! ?
Simone : On met les bras en croix, bien à l’horizontale et on fait de petites rotations, dans un sens et dans l’autre !
J’examine consciencieusement Simone … mais je suis inquiet ! Les tests vont confirmer les lésions suspectées ! Elle a très mal lors des tests des tendons de la coiffe des rotateurs … mais surtout elle manque de force. Elle ne parvient que très difficilement à monter sur le côté et à tourner le bras vers l’extérieur.
ASSOUPLISSEMENT D’EPAULE MAINS DANS LE DOS : INTERDIT !
Le Doc : Bon, Simone ! Il faut qu’on discute ! Vous avez probablement rompu votre coiffe des rotateurs, les petits tendons qui relient les muscles de l’omoplate à l’os du bras. Ce sont des cordelettes qui transmettent la force de contraction. Ils s’étalent sur la tête de l’humérus comme des cheveux bien peignés, d’où leur nom. Ils ont pour mission de stabiliser l’articulation et de créer un centre de rotation utilisé par les gros muscles du torse pour mobiliser le membre supérieur.
Simone : Et pourquoi se sont-ils déchirés ? Je n’ai pas soulevé de chose lourde !
Le Doc : Ces tendons ne souffrent pas que de tension. Ils ont la particularité de s’abîmer par frottements sur les reliefs osseux. Lorsque vous tentez de gagner en mobilité, en plaçant le coude à une hauteur maximum, vous les écrasez au fond la voûte osseuse de l’omoplate, appelée acromion. L’épaule est l’articulation du corps qui bouge le plus ! Elle parvient à faire un cercle complet. Ce mouvement porte le nom de circumduction. C’est aussi l’endroit de la majorité des luxations ! Bref, il ne faut pas l’assouplir ! Surtout chez le sénior ! Votre exercice est un étirement de jeune nageur de haut niveau qui cherche à gagner en amplitude gestuelle pour le crawl, le dos ou le papillon … aux dépens de sa santé articulaire. Une étude a demandé à des radiologues de regarder des échographies de coiffe des rotateurs et d’évaluer l’âge des propriétaires … Les nageurs de compétition avaient 25 ans en moyenne. Les imageurs ont donné environ 50 ans à leurs tendons !
PETITS MOULINETS BRAS EN CROIX : INTERDITS §
Simone : Mais dans mon tourniquet, le bras est bien moins haut !
Le Doc : Le conflit entre la coiffe et le bord de l’omoplate commence vers 90° d’élévation. Avec vos petites rotations, vous rabotiez littéralement vos tendons. C’est à se demander si les douleurs habituellement décrites pendant cet exercice ne sont pas plus traumatiques que musculaires ! Pour lever les mains, la nature a prévu une « voie de passage ». Elle se situe à peu près le long des oreilles. Sur ce trajet, les tendons ne rencontrent pas de butée osseuse mais une cordelette plus souple appelée ligament coraco-claviculaire. Les paléonthologues aiment ajouter que la main a évolué pour être utilisée dans le champ visuel. Ainsi, dès que vous ne la voyez plus, il est probable que vous malmeniez votre épaule ! C’est pourquoi la brasse constitue la meilleure nage pour cette articulation.
Simone : Ca alors ! Ces deux exercices sont mauvais pour les tendons de l’épaule ! Je n’en reviens pas ! On les fait tout le temps !
Le Doc : C’est vrai ! Vous n’êtes pas la seule ! Le risque augmente bien sûr chez le sénior. Avec les années, les tendons sont moins bien vascularisés, ils reçoivent moins de nutriments et d’oxygène. Ils assument moins bien leur mission consistant à centrer la tête … et à la protéger des frottements intempestifs. De fait, ils se rabotent plus, ils s’usent plus … Ils travaillent moins bien … Et le cercle vicieux commence !
Simone : Alors que dois-je faire ?
Le Doc : Nous allons programmer une IRM pour confirmer et surtout quantifier les lésions. En fonction de la taille de la déchirure dans la nappe tendineuse, nous aurons deux options. Soit, la perforation est toute petite et on peut tenter une injection de vos propres plaquettes, les petites cellules qui recollent les tissus. On parle de PRP pour Plasma Riche en Plaquettes. Et, on enchaînera avec beaucoup de kiné. Soit, le trou est bien plus gros et il faut prendre l’avis d’un bon chirurgien spécialiste du membre supérieur. Il jugera de l’opportunité d’une opération avec suture ou réinsertion des tendons. Vous êtes active et en pleine forme, il est impératif que vous retrouviez une épaule fonctionnelle !
Simone : Et vous ! Qu’en pensez-vous ?
Le Doc : A l’issue de notre entretien et de mon examen, je crois que vous avez rompu complètement les deux tendons situés en haut et à l’arrière de la coiffe : le supra-épineux et l’infra-épineux. Le PRP ne sera pas suffisant. La rééducation ne parviendra pas à compenser la brusque absence des deux tendons. Rien à voir avec les dilacérations progressives liées à l’âge qui donnent le temps à l’articulation de s’adapter. De plus, si on traîne, les muscles qui correspondent aux tendons déchirés ne vont plus travailler … ils vont se désentraîner, se rétracter et devenir graisseux. Dans quelques mois, il sera difficile et inutile de les raccrocher ! Je pense que le chirurgien va vous opérer !
Simone : Pff ! C’est cher payé pour deux mauvais exercices !
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