Par le Docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport.
La rhabdomyolyse, c’est le terme scientifique utilisé pour décrire les graves destructions musculaires rencontrées lors d’exercices exceptionnels comme les ultra-trails. Il est classique d’accuser l’intensité de l’effort et les contraintes mécaniques de la descente. Pourtant, une alimentation trop riche en glucides lents pourraient constituée l’une des causes principales ! Les vétérinaires le savaient avant les médecins !
Eric a 25 ans. Il connait bien le fonctionnement du corps pendant le sport, il est préparateur physique au sein d’une équipe de football. Il prépare son premier marathon. Il est progressif et rigoureux. Il augmente peu à peu son volume hebdomadaire. Il fractionne de façon précise et ciblée. Il est très à l’aise lors de sorties longues, il tourne sans difficulté à 13 km/h. Trois semaines avant l’épreuve, il valide 35 km à cette vitesse et récupère facilement. Il est près, il devrait taquiner les 3H15 après 42 km sur le macadam parisien. Il connait aussi la nutrition, tout au long de sa préparation, il mange de façon équilibrée et diversifiée. Malheureusement, il reste un peu anxieux avant d’aborder la distance mythique. Il craint de frapper le «mur du marathon», cette fameuse défaillance survenant aux alentours du trentième kilomètre. Il sait que, pour justifier ce phénomène, on accuse l’épuisement des réserves musculaires en sucre appelée glycogène. Alors, au cours des 4 jours précédents la course, il va enchainer les orgies glucidiques, le genre salade de pomme de terre comme entrée, paëlla au riz pilaf en plat de résistance et gâteau de semoule pour finir ! La veille, il se laisse tenter par des boissons riches en «maltodextrines», ces petites chaînes de glucoses au goût neutre, surnommées aussi « nouilles liquides ». La veille au soir, il cède à la sempiternelle « Pasta party » et engouffre deux assiettes de spaghettis. Le matin, il se sent bien reposé mais peut-être un peu ballonné. Qu’importe ! Comme prévu, il entre dans le sas de départ et se place juste de derrière le meneur d’allure arborant le drapeau 3H15. Il part un peu vite mais il est très à l’aise ! Au dixième kilomètre, il est légèrement en avance sur ses prévisions chronométriques. Au quinzième : surprise ! Ces cuisses sont lourdes et rapidement douloureuses … Il est stupéfait, lui qui caracolait avec aisance jusqu’à 35 kilomètres lors de ses longues courses de préparation !
DOULEURS MUSCULAIRES A L’EFFORT ! ET SI C ETAIT UN EXCES DE GLYCOGENE ?
Les crampes font leur apparition … il ne tarde pas à marcher ! Dans la souffrance, il termine en 4H10 … une heure de plus que prévu ! Dans les jours qui suivent, il présente énormément de courbatures. Il a mal en marchant. Pendant plus d’une semaine, il descend les escaliers à reculons ! La récupération active en piscine n’y change rien ! Il ne pourra trottiner que 10 jours après son marathon.
Les chevaux ont arrêté les « Pasta party » !
Cette histoire est authentique et des aventures similaires m’ont été racontées de très nombreuses fois ! Elles ressemblent à la « version light » des « coups de sang » décrit chez les chevaux de courses, notamment chez les purs sangs arabes spécialistes des épreuves d’endurance. Ces dernières sont des compétitions de 20 à 160 kilomètres, en terrains variés et souvent avec beaucoup de relief. Bref, ces chevaux sont des ultra-traileurs ! A l’état sauvage, un cheval broute de l’herbe 16 à 18 heures par jour. Cette alimentation est pauvre en énergie et justifie qu’il y passe autant de temps ! Pire encore, comme les êtres humains, les chevaux n’ont pas de « cellulase », l’enzyme nécessaire pour couper la cellulose, le squelette des plantes constitué de longues chaines de glucoses. Comme nous, ces herbivores profitent des bactéries présentes dans leur côlon pour scinder cette structure et la transformer en petits acides gras. Ces derniers sont absorbés par l’intestin puis stockés dans les cellules graisseuses. A l’occasion d’un effort, ils en sortiront et seront brûler dans les muscles. Si l’Homme a connu la révolution du Néolithique, le cheval a connu la domestication. Il y a 10 000 ans, au voisinage du croissant fertile, l’Homme se sédentarise et invente l’agriculture. Les céréales et les produits laitiers s’invitent copieusement dans son alimentation ! Peu de temps après, il y a 3500 ans, dans la région du Kazakhstan, le cheval s’attelle à l’aider dans sa tâche. Il quitte les grandes prairies et rejoint un enclos. Il est nourrit avec de l’avoine. Il avale cette alimentation glucidique très dense en calories en quelques minutes ! Comme l’Homme, le cheval n’est sûrement pas programmé génétiquement pour ingérer autant de glucides !
IL Y A 10 000 ANS LES HOMMES PRATIQUAIENT LA CUEILLETTE ET LES CHEVAUX BROUTTAIENT. ILS PEUVENT TOUS LES DEUX SOUFFRIR D’UN EXCES DE CEREALES A L’EFFORT
Les stocks de glycogène qui en résultent sont probablement excessifs, on dit « supra physiologiques » et pourraient devenir dangereux. L’histoire du « coup de sang » tendrait à nous le confirmer ! Autrefois, cet accident métabolique était appelé « maladie du lundi » par les vétérinaires de la cavalerie car il survenait après le week-end de repos des militaires et de leurs chevaux. Voilà qui ressemble aux journées de récupération avant un marathon … L’anecdote classique autour du « coup de sang » concerne le cheval dont le boxe a été mal fermé. Il en sort dans la soirée et passe la nuit au fond de l’écurie, le nez de la brouette remplie d’avoine ! Voilà qui ressemble à la « pasta party » du marathonien ! Le cheval resté quelques jours sans activité s’énerve quand son cavalier lui grimpe dessus. Il piaffe d’impatience, il galope sur place. Ses nasaux sont dilatés, il est essoufflé ! Il brûle son glycogène et le transforme en acide lactique ! Voilà qui ressemble à un sportif qui part un peu trop vite ! Le pur sang passe trente minutes à s’agiter ! Soudain, ces mouvements deviennent moins fluides. Il paraît plus raide, il semble se figer ! Son dos se bloque, il reste crispé, ne parvient plus à bouger ! Il ne tarde pas à s’effondrer ! Il fait un « coup de sang » ! Le pronostique vital est engagé ! Voilà qui ressemble à la rhabdomyolyse chez l’homme … D’ailleurs si vous tapez « rhabdomyolyse », « homme » et « cheval » dans Google, vous tombez sur un article de référence écrit par la fine fleur des vétérinaires militaires français : « Les rhabdomyolyses d’effort chez le cheval : une affection proche des rhabdomyolyses d’exercice chez l’Homme » !
Les traileurs tournent aux lipides
Mais que s’est-il passé ? Contrairement aux graisses, le glycogène stocké en grande quantité dans les muscles peut-être dégradé sans oxygène. On parle de glycolyse anaérobie. Ce phénomène se produit lors des efforts intenses. Le glycogène se fractionne en milliers de glucoses et le glucose se scinde en deux acides lactiques. Ce dernier envahit le muscle et augmente la concentration du milieu cellulaire. Les lois de l’osmose obligent l’eau véhiculée dans le sang voisin à entrer dans les cellules musculaires. Ces dernières éclatent et libèrent dans la circulation tous les éléments qui s’y trouvent ! Parmi eux, la myoglobine et le potassium. La première ressemble à l’hémoglobine qui transporte l’oxygène au sein des globules rouges. Dans le muscle, elle stocke ce gaz précieux et le libère au début de l’effort quand les vaisseaux ne son pas encore totalement ouverts. Déversée dans le sang, elle se comporte comme un radeau à la dérive. Elle vient s’échouer et se coincer dans les filtres microscopiques des reins, les glomérules. Elles ne tardent pas à les obstruer et à les déchirer. Il en résulte une insuffisance rénale aigue imposant une surhydratation par perfusion ou une dialyse par rein artificiel. Quant au potassium, il intervient normalement comme charge électrique dans la contraction musculaire. Il est notamment essentiel pour le déclenchement des battements cardiaques. Largué en trop grande quantité dans le sang, il provoque des troubles du rythme allant jusqu’à la crampe du cœur et l’arrêt cardiaque !
LA RHABDOMYOLYSE PEUT PROVOQUER DES INSUFFISANCES RENALES ET DES MORTS SUBITES
Les lésions des membranes musculaires sont aussi favorisées par les contraintes mécaniques, particulièrement lors des descentes en trail. Dans ces conditions, le muscle doit freiner le mouvement. L’articulation part dans un sens alors que les fibres tirent à l’opposé. Les enveloppes cellulaires situées entre les deux se déchirent ! Si la description historique du « coup de sang » concerne les montures des militaires, les chevaux de sport sont aussi concernés. Ce drame peut également survenir au départ des courses d’endurance équestre. D’ailleurs, depuis de nombreuses années, les vétérinaires spécialisés conseillent de réduire la charge en céréales avant les épreuves. En revanche, dès cette époque, ils recommandent d’ajouter de l’huile à la ration, un peu comme Chris Froome mange un avocat avant sa sortie longue, un peu comme Kilian Jornet grignote des oléagineux sur la ligne de départ. Tout se passe comme si ces champions renonçaient à l’agriculture pour pratiquer la cueillette. Parallèlement, les vétérinaires ventent les mérites du foin, ingéré plus laborieusement et digéré plus lentement dans le côlon. Idéalement, ils prônent la mise au vert. Au pré, les chevaux marchent et entretiennent leurs articulations. De surcroit, il mange lentement de l’herbe qui, comme le foin, se transforme en acides gras dans le côlon ! Avant les médecins du sport, les vétos faisaient la promotion du régime paléolithique et des bonnes graisses pour optimiser la performance et la santé de l’athlète d’endurance !
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